Pendant que des journaux à gros tirage subissaient et subissent encore la prohibition d'un régime intolérant à la critique, des titres maintenus par la manne publicitaire institutionnelle et dispensés des “règles commerciales” ferment les yeux sur la suspension de leurs confrères. Ce silence est le prix de leur traitement de faveur. Passe qu'ils soutiennent le pouvoir du jour — après tout, c'est une option comme une autre qui a droit à ses partisans —, mais qu'ils se contraignent à rentrer leurs yeux de journaliste dans le col pour n'avoir pas à s'exprimer sur un cas de liberticide, l'attitude relève de la perfidie. L'intérêt dans ce constat n'est pas de dénoncer l'égoïsme cupide de concurrents qui comptent plus sur les générosités calculées du pouvoir et les vivats approbatifs qu'ils lui servent quotidiennement que sur leurs efforts professionnels pour réussir dans ce métier où les héros rebelles et les adulateurs soumis se sont toujours et partout côtoyés. Non, l'intérêt est de se forcer à avoir un regard adulte sur un paysage médiatique politiquement, et heureusement, divers. De ce point de vue, “la” presse n'existe pas. Et tant mieux : le corporatisme est un avatar socioculturel qui, souvent, retarde les décantations politiques, par nature salutaires. C'est la fausse fraternité qui a piégé le paysage politique ; pour éviter que la confusion qui trouble la vue du monde politique n'opère la même fusion artificielle dans l'espace médiatique, il ne serait pas bon que la confraternité factice continue à empêcher le débat. Au lieu de s'en désoler, il vaut, peut-être, mieux se dire qu'il est toujours utile de savoir qui est qui. Cependant, beaucoup d'éditeurs se sont honteusement désolidarisés d'une cause qui aurait pu être la leur pour peu que le principe de la liberté d'expression eût été plus prégnant que le gain des faveurs des despotes censeurs et que le gain tout court. On peut alors regretter que l'appétit clientéliste soit plus souvent à l'origine de la désertion que la conviction n'est à la base de leur affiliation politique. Le pouvoir le sait et oppose aux réels éditeurs de vrais publicistes. Au lieu de s'inquiéter de voir des journaux, autrement plus solvables, fermer pour raison “commerciale”, certains s'en frottent les mains et trouvent dans la répression qui frappe les titres leaders l'aubaine d'un tirage augmenté. Et comme ils n'osent pas parler de la corde dans la maison d'un pendu, ils se gardent bien de commenter cette histoire de suspension “commerciale”. Ils préfèrent l'embarras de leur silence coupable à l'indélicatesse hasardeuse de parler la bouche pleine. Car, qui sait ? Nul n'est à l'abri des procédés comminatoires d'un pouvoir hargneux. C'est ainsi que les valeurs quittent les espaces sociaux et se réfugient dans les poches de résistance individuelle. Traquées par la puissance et l'argent, elles se replient parfois jusqu'à la marginalisation. C'est ainsi que, dans les domaines les plus nobles, s'avancent l'opportunisme et la médiocrité. Encouragés par la puissance et l'argent, ils finissent par marcher à visage découvert et par se revendiquer. C'est bien qu'on ne se ressemble pas ; c'est mieux de le savoir. À cela, l'épreuve est toujours utile. M. H.