Les médecins invitent les autorités à prendre des mesures avant l'apparition d'autres épidémies plus graves. La conjonctivite infecte quotidiennement des milliers de citoyens quotidiennement et ce, depuis une quinzaine de jours. Si les malades sont pris en charge gratuitement dans les hôpitaux, aucune campagne de sensibilisation n'est venue consolider les efforts des médecins dont certains ont dû sacrifier leur congé. “Normalement, les ophtalmologues de l'hôpital Mustapha sont en congé dans leur majorité, moi y compris. Lorsque j'ai constaté l'ampleur de l'épidémie, j'ai rouvert la consultation alors que le service est fermé pour travaux, suite au dernier séisme”, déclare le professeur Hartani, chef de service ophtalmologie à l'hôpital Mustapha. Depuis la reprise des consultations dimanche dernier, quelque 6 000 malades ont été pris en charge dans cette seule structure. Une grande foule de personnes, les yeux rouges et enflés, tenant une ordonnance à la main, se tient devant la pharmacie de l'hôpital pour recevoir les médicaments. “Suite aux instructions du ministère de la Santé, nous distribuons les médicaments aux malades”, affirme M. Dehar, le directeur général de l'hôpital Mustapha. Le service ophtalmo de l'hôpital Nafissa-Hamoud est, lui aussi, envahi de jour comme de nuit par une nuée de malades. “Depuis le 20 août dernier, nous avons consulté 6 914 malades et l'afflux n'est pas près de s'arrêter”, estime le professeur Chachoua. Le même praticien n'oublie pas de rappeler : “Si le département de la Santé a ordonné aux directeurs des hôpitaux de donner gratuitement les médicaments, aucun autre ministère n'a pris les mesures idoines pour mettre un terme à ce phénomène.” Sur le terrain, l'épidémie continue à se propager à une vitesse vertigineuse. Jusqu'au jour d'aujourd'hui, le virus à l'origine du mal n'est toujours pas isolé et, de toutes les manières, l'Algérie n'a vraiment pas les moyens de le faire. Les médecins que nous avons rencontrés ne demandent pas le Pérou, mais juste une campagne de sensibilisation digne de ce nom. “Alors que l'épidémie avance à pas de géant, aucune autorité n'est intervenue pour demander aux malades de rester chez eux au lieu d'aller propager le mal dans les mosquées, les stades, les plages, etc. Eu égard à l'ampleur de la pathologie, il serait sage d'isoler les patients, pour diminuer sa propagation. Il faut même penser à renvoyer chez eux les employés malades”, dit un médecin rencontré à l'hôpital Mustapha. Les causes de cette épidémie sont connues dès le début et les professeurs en médecine n'ont jamais cessé de tirer la sonnette d'alarme quant aux dangers encourus devant le “phénomène” de la saleté en Algérie où toutes les rues et même les grands boulevards sont devenus des dépotoirs à ciel ouvert. “Il est temps de réagir et d'éduquer le peuple au respect des horaires et des lieux où doivent être déposer les ordures. Ce n'est pas une affaire à prendre à la légère car, les maladies médiévales (peste, choléra, gale, etc.) qui resurgissent chez nous ont été éradiquées ailleurs depuis le début du XXe siècle, c'est-à-dire avant l'apparition de l'antibiothérapie. Il a suffi de subvenir aux besoins en eau des populations, de placer des canalisations des égouts et d'éduquer les gens à l'hygiène, pour gagner la partie. S'il faut réprimer, il faut le faire car, cela va dans le sens du bien de la cité et de la population”, s'inquiète le professeur Chachoua. Cette dernière affirme en outre : “J'espère que les sommes débloquées pour prendre en charge ces malades ne seront pas déduites du budget prévu pour l'équipement des hôpitaux.” Chaque malade reçoit un collyre et une pommade dont le prix avoisine les 200 dinars. Une petite opération révèle l'étendue du mal puisque, depuis le 20 août dernier, l'hôpital Nafissa-Hamoud a déboursé plus de 138 millions de centimes pour prendre en charge les malades. Or, il aurait suffi d'arrêter une campagne de sensibilisation pour atténuer sa propagation. “Tous les ministères concernés doivent s'impliquer, sinon il est urgent de nommer un ministre de l'Hygiène, sans quoi, nous risquons d'autres fléaux plus graves”, propose le chef de service ophtalmologie de l'hôpital d'Hussein-Dey. Ce qui inquiète les médecins, c'est l'apparition d'une épidémie foudroyante d'origine inconnue car, la saleté conjuguée avec la chaleur et l'humidité est “un véritable bouillon de culture”. S. I.