Alors que l'Europe crée l'équivalent d'une CIA, Moscou élargit les pouvoirs du FSB (ex-KGB). Il y a une semaine, la presse américaine a tiré la sonnette d'alarme concernant les services de sécurité des USA devenant incontrôlables par leur multiplicité et le chevauchement de leurs missions. En même temps, le débat au sein de l'Union européenne est à la création d'un service de sécurité extérieur, commun aux 27 pays membres, qualifié de petite CIA par les observateurs avertis. C'est ce moment que choisit le Kremlin pour élargir les prérogatives du FSB, l'organisation des services secrets qui a succédé au KGB après le démantèlement de l'ex-URSS. En effet, le président russe Dmitri Medvedev a entériné jeudi une loi élargissant les pouvoirs des services de sécurité intérieure, le FSB, au grand dam des défenseurs des droits de l'homme qui ont qualifié cette loi d'“insensée et dangereuse”. Plusieurs ONG de défense des droits de l'homme avaient demandé au président Medvedev de ne pas promulguer cette loi votée par le Parlement en juillet, croyant en les convictions plus libérales du patron du Kremlin par rapport à son Premier ministre Vladimir Poutine. Espoirs déçus puisque le Kremlin a annoncé officiellement que le président a entériné la mesure. En vertu de cette nouvelle loi en vigueur en Russie, toute personne ayant entravé, d'une manière ou d'une autre, le travail d'un agent du FSB est passible d'une amende, voire d'un placement en détention. Beaucoup de voix se sont élevées pour faire part de leur crainte de voir se multiplier des arrestations arbitraires comme au temps du KGB et de l'Union soviétique. Les officiels, eux, minimisent la portée de cette mesure. C'est le cas de Mikhaïl Marguelov, représentant de la Chambre haute du Parlement, qui a affirmé jeudi que les nouvelles dispositions ne font que codifier des pratiques courantes au sein du FSB et d'autres services de sécurité en Russie. “Ces amendements ne vont pas transformer le FSB en une nouvelle version du tout-puissant KGB, mais protéger les citoyens russes de l'arbitraire des hommes en uniforme”, a-t-il déclaré. “Dans l'ensemble, je considère cela comme un pas en avant vers la création en Russie d'un Etat de droit”, a-t-il encore ajouté dans un bref communiqué transmis à la presse. Pour sa part, le président Medvedev avait déclaré auparavant avoir donné l'ordre d'élargir les prérogatives du FSB par voie législative. “Chaque pays a le droit de perfectionner sa législation, y compris celle qui concerne ses services spéciaux”, a-t-il déclaré en conférence de presse à la mi-juillet, aux côtés de la chancelière allemande Angela Merkel. Les ONG des droits de l'homme, elles, ne l'entendent pas de cette oreille et crient au scandale. Bien que les dispositions les plus controversées aient disparu du texte après son examen par le Parlement, l'ONG Memorial a qualifié cette loi d'instrument de lutte “contre les dissidents”. Sergueï Mitrokhine, leader du parti d'opposition Labloko, a été plus loin dans la dénonciation en estimant qu'“il est impossible d'imaginer quelque chose de plus contraire à la politique de modernisation”, avant de qualifier la mesure d'“inacceptable pour un Etat moderne civilisé”. Après tout ce qui a été dit et écrit sur le vrai pouvoir en Russie, sur la relation peu traditionnelle entre le président Medvedev et son tout-puissant Premier ministre Poutine, faut-il voir dans cette nouvelle loi la main de ce dernier ? C'est très probable dans la mesure où Vladimir Poutine est l'homme du KGB, puis du FSB. À l'approche de l'élection présidentielle, n'est-ce pas une manière, pour Poutine, de rappeler à Medvedev que c'est lui qui l'a fait président et qu'il n'a pas à le gêner, éventuellement, s'il décidait de revenir au Kremlin ? On peut penser, aussi, que la décision russe de renforcer les pouvoirs de ses services de sécurité répond à la frénésie occidentale en la matière observée ces derniers mois. Mais cela semble très peu probable, d'autant plus que même les principaux dénonciateurs de la loi ne font allusion qu'à ses effets internes sur la démocratie et les libertés. Plutôt qu'une escalade entre services secrets, ne faut-il donc y voir qu'une lutte d'influence des pouvoirs propres à la Russie ?