Les contrôles de police se sont multipliés au niveau de la capitale ces dernières semaines d'une manière très visible dans le cadre du renforcement du dispositif sécuritaire à l'approche du mois de Ramadhan. Mais ces vérifications et fouilles sont souvent perçues par le citoyen comme une mesure “vexatoire” ou “injustifiée”, voire “un abus de pouvoir”. Les policiers doivent montrer une certaine diplomatie, même le bon déroulement des contrôles n'empêche pas les gens ciblés d'exprimer leur colère, surtout face à leur caractère répétitif. Le fait d'avoir un véhicule entraîne un risque d'être contrôlé 3 à 6 fois par jour ! selon plusieurs témoignages recueillis auprès des citoyens : “Les contrôles de police se font principalement sur l'apparence et sur l'âge et non sur un comportement suspect”, affirment-ils . Un propriétaire d'un véhicule de marque Atos parle de “harcèlement” policier. Il affirme être contrôlé près de 5 fois par jour : “Je ne supporte plus ce harcèlement, on m'arrête à chaque bout de route soit par une patrouille, soit à un barrage. On a justifié cette mesure par le fait que cette marque de véhicule est ciblée par les vols, mais ce n'est pas normal, ni logique tout de même !” Un vieux émigré en France a été soumis au contrôle, lui aussi, plus de 5 fois tout le long du trajet d'Alger à Bouharoun : “J'étais en famille, le policier m'a demandé mes papiers. ça fait peur pour un étranger ou un émigré qui rentre au pays. ça donne une psychose comme s'il y a un retour des attentats terroristes.” Il ajoute que des policiers l'ont obligé à ouvrir son coffre pour une “analyse de contenu” aussi sommaire que les précédentes fouilles “mais je pense que ces mesures gênent tout le monde, notamment pour un type qui vient se reposer dans son pays”. Amalgame entre fermeté et excès de zèle Un cadre, “touché” lui aussi par ces contrôles successifs, croit qu'il y a un amalgame entre fermeté et excès de zèle : “On lit dans les médias que le nouveau directeur de la Sûreté nationale a donné des instructions fermes pour lutter contre toute forme de criminalité mais on est en face d'une application maladroite de ces instructions.” Ce cadre ajoute que les gens sont déjà sous pression par la chaleur de l'été, parfois les problèmes de la vie, ce qui n'arrange pas les choses du fait qu'ils sont sur leurs nerfs. Il précise que ces policiers mobilisés dans les barrages ou les points de contrôle sont fraîchement sortis des écoles de la police : “Il y a un manque d'encadrement et d'expérience. En tant que citoyen, je ne vois pas l'utilité de toutes ces mesures ! Qu'ils nous donnent les résultats de leur travail.” On contrôle surtout les jeunes, affirme Mehdi, un jeune Algérois : “Je portais mon sac à dos quand j'ai été arrêté dans mon quartier avec mes amis. On a été soumis à une fouille draconienne, bezzaf (c'est trop). ça me rappelle les années 1990 où il y avait des descentes de la police et ses rafles, on comprend pas qu'est-ce qui se passe !” Son ami intervient dans la discussion et ajoute que “peut-être qu'il s'agit de terroristes infiltrés dans la capitale. ça fait peur, dans ce cas, à l'approche du Ramadhan”. Les femmes au volant… même principe d'égalité Les femmes aussi se plaignent surtout celles au volant. Karima, cadre dans l'enseignement, a été surprise par ces contrôles répétitifs dernièrement : “J'étais rarement contrôlée mais maintenant je crois qu'ils exagèrent ! Avant, ça ne me dérangeait pas, au contraire, mais dernièrement à chaque point, on m'arrête et ils prennent leur temps. Des fois on est pressé et en compagnie de nos enfants, ça dérange vraiment, je n'ai pas hésité à leur demander de presser un peu, j'ai eu pour réponse qu'ils font leur boulot même s'il s'agit d'une… femme !” Une jeune fille à bord d'un véhicule va dans le même sens en précisant que “la présence policière me réconforte avec toutes ces agressions ces derniers temps mais je crois qu'ils en font trop. J'en suis arrivée à me demander s'il s'agit de vrais policiers quand je viens à peine de sortir d'un contrôle”. Mais pour la gent masculine, il s'agit de représailles : “Je considère que c'est une forme de vengeance. Le fait que le policier, généralement un jeune lui aussi, soit sous une chaleur de plomb et nous dans un véhicule climatisé, vacanciers, je comprends leur harcèlement envers nous, surtout si on est en compagnie d'une fille !” Alors qu'un autre hurle plus qu'il ne parle : “Au lieu de coffrer les agresseurs, ils traquent les automobilistes !” Les contrôles se font, en effet, fréquemment dans les quartiers populaires, plus particulièrement les quartiers dits chauds. Les habitants de ces derniers se plaignent depuis longtemps d'être la cible de contrôles d'identité répétés, dépourvus de nécessité et relevant du harcèlement. “On n'est ni des terroristes ni des voyous. J'étais assis tranquillement dans un salon de thé en bas de mon immeuble, des policiers m'ont demandé mes papiers, je ne les avais pas sur moi. On m'a traîné vers le véhicule de police puis au poste. Les gens du quartier ont cru que j'étais impliqué dans une affaire louche ou de drogue, il fallait voir leur descente.” Jeunes victimes de la réputation de leurs quartiers Des jeunes de Bourouba —connu sous l'appellation “La Montagne”— disent qu'ils sont victimes de la réputation de leur quartier : “On est la première cible de la police. Partout où on se déplace, on est soumis à un rude contrôle ; comme si on est tous des kamikazes, et pourtant, les meilleurs sportifs sont de ce quartier.” Un de ces jeunes nous confie que son beau frère, qui possède un véhicule de marque Kangoo, immatriculé dans la wilaya de Boumerdès, est “harcelé” par les services de sécurité. “Il passe plus de temps dans les points de contrôle que dans la livraison !” ajoute-t-il. Même les citoyens des quartiers huppés sont soumis à ces mesures. Une incursion à Hydra nous a permis de constater à quel point cette commune est quadrillée par les forces de l'ordre. Ici, les policiers passent au crible les véhicules et les plus suspects sont minutieusement décortiqués. Concernant les camions et les motos, ils sont interdits d'accès à cette commune. Un policier rencontré au quartier Belcourt, nous dit ne pas comprendre ce que veut le citoyen : “Soit on est là et ça le dérange, soit il est victime d'un vol ou d'une agression, alors là, il nous critique et nous fait porter la responsabilité par notre absence. Critiquer le policier, c'est un sport pour l'Algérien alors qu'on est mobilisé jour et nuit que ça pleuve ou ça vente pour sa propre sécurité d'abord pas pour nous ! Croyez-moi, Mademoiselle, j'ai eu des fois à contrôler des jeunes à bord de leurs véhicules, ils laissent la musique à fond et ne m'accordent pas le moindre respect mais malgré tout on tient notre sang-froid.” Mais les policiers sont-ils conscients que ces contrôles avec zèle énervent les citoyens ?