Pour le troisième personnage de l'Etat, “la République ne peut ni s'accommoder de l'asservissement, ni de tuteur, ni de donneur de leçons, ni de censeur”. Dans une situation de fonctionnement normal d'une démocratie, le discours, tenu hier, par le président de l'Assemblée populaire nationale, Karim Younès, à l'ouverture de la session d'automne, serait classé dans la rubrique des événements ordinaires qui peuvent marquer toute rentrée parlementaire. Mais, les agressions que connaissent la presse et la liberté d'expression et les tentatives de casser le pluralisme politique ont fait que l'allocution du troisième personnage de l'Etat revêt une importance particulière. C'est la première fois qu'un président d'une assemblée nationale proclame haut et fort l'indépendance de son institution et sa souveraineté. Après avoir rendu hommage à Amamra Badra, membre du conseil de la nation décédée récemment, et à Rabah Radja, député du FLN assassiné, il y a quelques semaines, par des terroristes dans la région de Maâtkas (Tizi Ouzou), Karim Younès est allé droit au but. Il défendra d'abord la liberté de la presse. “Il ne peut échapper à personne que les professionnels de l'information ont aussi vocation à être les vigiles de la société, et il en est ainsi dans toutes les sociétés dites démocratiques et il ne peut en être autrement dans notre pays dont la constitution se réclame des valeurs démocratiques”, souligne le président de l'APN, avant d'ajouter : “Ce qu'implique à cet égard l'existence d'une presse libre ou indépendante peut paraître contraignant, voire, par moments, exacerbant, parfois même exaspérant ou irritant, aussi bien d'ailleurs pour les tenants d'un quelconque pouvoir central ou local que pour nous, parlementaires, et pour les élus d'une façon générale”. Mais, une fois démenties, expliquées ou corrigées, les situations dénoncées et la nécessaire confiance entre gouvernants et gouvernés rétablie, indique Karim Younès, “la société sort grandie de la médiatisation de ses tourments, et l'avènement d'une presse libre dans notre pays redevient vite ce qu'il est véritablement dans la perception de tous : une conquête majeure de l'espace des libertés démocratiques en Algérie”. “Pour nous qui voulons faire de ce pays une nation formée de citoyens libres, égaux en droits et en devoirs, dit-il encore, il ne peut y avoir ni adversaires ni alliés politiques, ni minorité ni majorité, ni pouvoir ni opposition, ni sensibilité de gauche ni sensibilité de droite, lorsque sont en jeu les valeurs républicaines de notre constitution et la démocratie dont notre constitution se réclame.” Concernant le bouillonnement que connaît la scène politique et les agressions contre le parti du FLN, Karim Younès estime : “L'usage de la violence et la récupération par l'idéologie des difficultés socio-économiques propres à toute transition ou à tout processus démocratique naissant sont les premières sources de menace pour la démocratie d'abord et pour la République.” Le président de l'APN affirme que “l'idéal démocratique, le véritable, l'authentique, ne peut s'accommoder de l'asservissement quel qu'il soit, ni de l'allégeance qui ne peut être faite qu'à Dieu”. L'allusion de Karim Younès est claire. Il répond à ceux qui veulent mettre le FLN, son parti, au service de la candidature de Bouteflika pour un second mandat à la présidence de la République. “Ce sont les pratiques universelles en matière d'éthique, indique-t-il, en effet, qui nous enseignent que nul ne devrait s'ériger en tuteur ou en arbitre qui décide du début de la partie ou de sa fin, qui décide de brandir le carton rouge ou le carton jaune, dans un domaine où il ne peut y avoir d'arbitre que le peuple”. Le troisième personnage de l'Etat enchaîne : “Nul ne devrait s'ériger en censeur exclusif ou en donneur de leçons, et que les leçons que l'on veut donner, il conviendrait de les appliquer d'abord à soi-même.” Karim Younès, qui s'emploie à faire recouvrer à l'Assemblée le rôle qui lui revient et à lui épargner le statut de chambre d'enregistrement en adoptant les ordonnances conçues pendant l'intersession, souligne que “le lieu privilégié du débat politique républicain est le Parlement”. Ce débat, selon lui, “doit être ouvert à tous les sujets qui concernent le présent et l'avenir de la République". Le président de l'APN estime, en effet, que “l'institution parlementaire devant demeurer le lieu privilégié où l'on puisse légiférer, car la loi, qui ne peut être que l'expression de la volonté générale, reflète cette souveraineté constitutionnelle qui est celle du peuple algérien sur toute question qui concerne la nation". Et c'est pour cette raison que Karim Younès tranchera : “L'Assemblée populaire nationale vivra au rythme de la société, elle congratulera lorsqu'il le faudra, critiquera quand ce sera nécessaire, cela est son droit, elle rejettera, amendera ou approuvera les textes qui lui sont soumis”. Il affirme, en somme, que “les députés n'ont pour cela de comptes à rendre qu'à Dieu et au peuple dont ils détiennent le mandat et à la conscience qu'ils ont de leur honneur". Saïd Rabia Le profil bas des partisans du Président à l'APN Les partisans de Karim Younès, président de l'APN, ont été très discrets, hier, à l'ouverture de la session d'automne du Parlement. Les députés opposés à Benflis, qui ont juré de provoquer la saignée au sein du groupe parlementaire du FLN, dont Abdelouahid Bouabdellah, ont brillé, hier, par leur absence. Il n'y avait que Tayeb Louh, le ministre du Travail, pour pallier cette absence. Sollicité par la presse pour en dire plus sur le mouvement de contestation, M. Louh avait déclaré, sans toutefois convaincre les journalistes, que “Benflis ne dispose pas de la majorité dans le parti”. N. M.