Le mois de carême, censé être une occasion pour mettre davantage l'accent sur la propreté, est devenu l'une des périodes où l'insalubrité des marchés, qui sont très fréquentés par les consommateurs, connaît également des pics. Des odeurs nauséabondes qui provoquent des hauts le cœur vous “accueillent” à l'entrée et vous guident vers des bacs à ordures débordant de toute part avec des sacs éventrés jetés à même le sol. Premier week-end du mois de Ramadhan. Il est 15 heures quand nous arrivons au marché de Bachdjarah. Les chefs de famille qui rentraient de la mosquée après la prière du vendredi ont vite fait de troquer le “kamis” blanc pour une tenue plus sombre et plus appropriée aux conditions dans lesquelles ils accompliront leur nouvelle mission : faire le marché. Contrairement aux jours de semaine, ce sont les hommes qui investissent les lieux. Ils doivent bien remplir cette journée de repos et de jeûne. Il reste encore 5 heures pour le f'tour et, pour tuer le temps, un tour au marché s'impose. Les rares femmes que nous avons croisées pressent le pas. C'est l'heure d'enfiler son tablier de cuisine et concocter un bon menu. Le long chemin qui mène vers le marché semble avoir été déserté par les jeunes commerçants qui, d'habitude, squattent les ruelles et autres trottoirs pour proposer, voire brader toutes sortes de marchandises. Renseignement pris, on nous dit qu'une patrouille de police vient de passer. En fait, les deux parties jouent au chat et à la souris depuis le début du jeûne. C'est l'éternelle rengaine. À la veille de chaque occasion, ces commerçants sont traqués pour faire croire que la fameuse lutte contre le marché parallèle est très sérieuse mais dès que la patrouille s'éloigne, les trottoirs sont vite “re-squattés”. À Bachdjarah, les jeunes, soutenus par leurs fidèles clients font la loi et jurent par tous les saints que personne ne pourra les déloger de leur “commerce”. “À moins que l'on nous donne du travail”, affirment-ils. Ici tout se vend et tout s'achète. Y compris de l'or. Près d'une dizaine de jeunes installent leur “bijouterie” de fortune à même les trottoirs. Il faut dire qu'ils ont de la clientèle notamment ces derniers mois où les prix de l'or se sont envolés atteignant les 3 000 DA le gramme. Tout comme ceux des fruits et légumes. L'avantage qu'offre le marché de ce quartier populaire et populeux est que le consommateur a le choix entre faire ses emplettes à l'intérieur du marché de fruits et légumes ou à l'extérieur où les prix sont beaucoup plus abordables. Mais encore faut-il être patient et avoir un cœur solide et des narines peu allergiques. Car dès que vous décidez de faire les courses, de ce côté du marché, vous risquez de développer une très forte allergie. Le manque d'hygiène est tel que si vous n'êtes pas habitués de ces lieux insalubres, vous ne pourrez vous éviter des hauts le cœur. Et en plein jeûne vous risquez de jeûner encore 24 heures. Déjà, à l'entrée du marché des odeurs nauséabondes vous agressent les narines. ça devient insupportable au fur et à mesure que vous vous engouffrez dans le marché. Normal quand on voit que chaque commerçant se débarrasse des fruits et légumes pourris et de tous les produits avariés juste à côté de lui. Une simple caisse, qui côtoie d'autres cageots remplis de marchandises, sert de poubelle. Le ramassage commence dès les premières heures de la matinée et ne se termine qu'à la fermeture du marché. La caisse-poubelle, exposée au soleil des heures durant et sur laquelle toutes sortes d'ordures s'entassent, ne peut que dégager des odeurs répugnantes. Et quand on sait que pratiquement tous les commerçants de ce marché, et ils sont très nombreux, ne se gênent guère pour jeter à même le sol tous leurs déchets et s'en aller en fin de journée en laissant derrière eux un tas d'immondices, on comprend comment on en est arrivé à ses odeurs dégoûtantes qui vous accueillent à l'entrée de tous les marchés de la capitale. Car le manque d'hygiène n'est pas le propre du marché de Bachdjarah. C'est malheureusement le cas dans les principaux marchés que nous avons visités ce week-end à des degrés différends et selon la fréquentation et la surface du souk. Marchés ou décharges publiques ? Pratiquement le même décor était planté aux différents marchés que nous avons visités le week-end dernier. De Bab El- Oued à Meissonnier en passant par le marché Clausel et Ali-Mellah, le même constat est vite fait à des kilomètres à la ronde. Tout est disponible dans ces commerces sauf l'hygiène et la propreté. L'insalubrité et les odeurs répugnantes sont devenues le lot quotidien des clients qui, à la longue, s'y sont habitués et ne rechignent plus. “Que voulez-vous que l'on fasse, c'est le marché du quartier et nous sommes contraints de subir tout pour nous approvisionner”, commente un chef de famille rencontré vendredi après- midi au marché Ali-Mellah. Le fait d'arriver une heure à peine avant la fermeture des lieux, nous a permis de constater de visu les dégâts et l'incivisme de certains commerçants notamment ceux qui dressent des étals de fortune pour faire écouler leurs marchandises. Rares, très rares même, sont ceux qui ont pris la peine de ramasser les amas d'ordures qu'ils ont entassés depuis la matinée dans des sacs-poubelles et qu'ils ont abandonnés dans les bacs à ordures situés à la sortie vers laquelle les odeurs nauséabondes qui s'y dégagent vous guident illico. On croirait que les lieux n'ont pas été nettoyés depuis des mois. Les nausées et les hauts le cœur sont inévitables à la vue du spectacle. Les bacs à ordures débordent de toutes parts et deviennent refuge pour les mouches et les moustiques sans oublier toutes sortes de microbes. Les sachets sont éventrés et laissés à même le sol par les mendiants du coin qui finissent leur journée par le tri des ordures. Ils étaient nombreux ce vendredi à remplir leurs sacs de tout ce dont les commerçants se débarrassent. Hésitant au départ, l'un d'eux avoue y dénicher pas mal de fruits et légumes dont il se débarrasse de la partie altérée. Ce n'est pas le cas pour cette jeune fille qui nous agresse du regard en hurlant : “Est-ce que ça vous regarde si on fait les poubelles pour manger ? Si j'avais un travail, je ne serais pas là”. Et de nous reprocher notre présence au marché à quelque deux heures du f'tour. Elle a bien fait de nous le rappeler d'ailleurs. Espérons seulement que les routes seront fluides. Pas de chance. Ce n'est pas l'embouteillage des jours de semaine, mais la fluidité tant espérée n'était au rendez-vous que le lendemain, samedi, en prenant l'autoroute pour une nouvelle virée aux marchés de la capitale. Il était à peine 9h30 quand nous sommes arrivés au marché de Bab El-Oued. À cette heure-ci et en plein Ramadhan, il ne faut pas s'attendre à trouver grand monde. C'est le week-end, on se permet une bonne grasse matinée. Nous avons quand même croisé quelques femmes matinales qui préfèrent se procurer elles- mêmes ce qu'il leur faut pour le f'tour avant le rush du début de l'après-midi et surtout s'approvisionner dans la propreté. En ce début de matinée, le marché était nickel. Enfin presque. Les allées étaient propres mais des odeurs écœurantes subsistaient. Elles deviendront plus dégoûtantes au fil des heures et au fur et à mesure que les commerçants servent leur clientèle tout en faisant le tri de leur marchandise. C'est le même scénario dans tous les souks. Les commerçants n'ont pas le temps de penser à la propreté des lieux. “Nous nettoyons les lieux en fin de journée. Personnellement, je ne laisse rien derrière moi”, confie un commerçant de fruits et légumes au marché de Bab El- Oued. Selon lui, ce sont les vendeurs occasionnels et les petits garçons qui occupent les lieux avec leurs paniers de persil, menthe, coriandre… qui partent dès qu'ils ont tout écoulé en laissant plein de déchets derrière. Pratiquement le même discours nous a été tenu au marché de Meissonnier. Ici les conditions d'hygiène ne semblent pas aussi catastrophiques qu'ailleurs. Pas d'amas d'ordures mais les lieux sont sales et ne donnent guère envie de s'y approvisionner. C'est le même procédé qu'ailleurs qui donne les mêmes résultats : insalubrité totale. Le consommateur fait ses courses dans des conditions d'hygiène qui peuvent nuire à sa santé. Il le sait. Certains le dénoncent, mais nombreux sont ceux qui ne semblent pas être à cheval sur la propreté des magasins ou le lieu où ils font leurs courses. “Nous n'avons pas le choix. Nous sommes contraints de faire nos emplettes dans les marchés de nos quartiers surtout quand on n'est pas véhiculé”, justifient-ils. Mais, malheureusement, nous avons constaté de visu que certains consommateurs ne sont pas très regardants sur la propreté. Sinon comment expliquer le fait que nombreux sont ceux qui n'hésitent pas à acheter leur baguette de pain sur le trottoir à un jet de pierre de la boulangerie du quartier et pour le même prix. Quand le client ferme les yeux sur les conditions d'hygiène, ceci ne peut qu'encourager le commerçant à persister dans l'insalubrité. “Nous sommes les premiers responsables de la situation qui prévaut dans nos marchés que ce soit sur le plan de l'hygiène ou sur celui des prix pratiqués. Car nous fermons les yeux sur tout et la seule chose qui compte pour nous, c'est de remplir notre maudit couffin”, fulmine un sexagénaire. Et à un commerçant de rétorquer : “Ce sont les services chargés du ramassage des ordures et de la gestion des marchés qui négligent leur travail. La collecte des ordures se fait parfois un jour sur deux et dans ce cas les odeurs nauséabondes sont inévitables. Ce n'est pas de notre faute”. Il y a peut- être du vrai dans ses dires mais la propreté de son propre étalage ne dépend que du commerçant lui-même. Si chaque vendeur nettoyait, ramassait ses ordures et les jetait convenablement dans les bacs mis à leur disposition, jamais l'insalubrité n'aurait atteint des proportions aussi répugnantes. Surtout si le consommateur ajoute du sien et refuse de faire ses courses dans des lieux insalubres. D'autant que le mois de carême est censé être la période propice pour être plus regardant sur l'hygiène et la propreté.