Mes sempiternelles références à Jallâl ud Dîn Rûmi semblent quelque peu déranger certains milieux connus pour leurs positions dogmatiques, s'agissant du rôle joué par le soufisme et les confréries religieuses dans le raffermissement du sentiment national. Poète d'un lyrisme inégalé autant que somptueux visionnaire, pourtant, Jalâl ud-Dîn Rûmî est l'auteur d'une œuvre immense dont le moins qu'on puisse dire est qu'elle constitue une somme doctrinale de la mystique musulmane. Né à Balkh, dans le Khorassan, en 1207, et mort à Konya, en Anatolie, en 1273, il fonda dans cette dernière ville, où son mausolée est érigé et vénéré, la tariqa des Mawlavis ou derviches tourneurs. Ses dizaines de milliers de disciples turcs ont apporté une contribution considérable à la culture et à la musique de leur pays. En plus de la magnificence d'une œuvre comme Mathnavi, qui renferme à elle seule pas moins de 25 000 vers, la bibliographie de celui qui est vénéré par tout l'Orient compte des quatrains, un ouvrage doctrinal en prose Fîhî-mâ-fîhî ou Le Livre du Dedans et un magnifique Dîwân, plus connu sous le titre français Odes mystiques, qu'il dédia de son vivant à son maître Shams de Tabriz. Alors que, de l'avis même du musicologue tunisien Mahmoud Guettat, les confréries religieuses en Algérie ont rendu un très grand service à l'art musical maghrébin, tout en lui conservant son authenticité, une impulsion incomparable. Leur répertoire très vaste est inspiré par les mêmes tubû, les mêmes formules mélodiques et rythmiques et, parfois, les mêmes paroles que le répertoire des noubas profanes dans leur forme la plus fidèle : “Leurs poèmes lyrico-mystiques composés à la gloire de Dieu, du Prophète (QSSSL), voire du patron de la confrérie, peuvent également, dans leur sens ordinaire, évoquer l'amour profane.” Certains de ces poèmes panégyriques, comme al-Hamziyya al-Burd du célèbre soufi al-Bûçiri (1213-1235) avaient atteint une renommée remarquable partout dans le monde islamique. Se contentant de la voix, certaines confréries n'utilisent aucun instrument, d'autres tolèrent les instruments à percussion seuls ou accompagnés par le ney. Mais il existe des confréries qui intègrent à leurs chants tous les instruments. Dans une étude intitulée Kachfou Anâ ‘an wasfil ghina, l'un des plus grands savants pakistanais de l'école hanéfite, en l'occurrence Moufti Chafi'r.a, reconnaît lui-même que certains aspects de cette question ont fait (et font encore) l'objet de nombreuses et sérieuses controverses. Ces divergences entre les savants tiennent surtout du fait que les références religieuses présentent des contradictions apparentes à ce sujet. Tandis que certains textes interdisent clairement la musique et les chants, d'autres, au contraire, laissent supposer que cette interdiction est seulement partielle quand elle n'est pas infondée. Sortant de sa réserve, le Dr Yûsuf `Abd Allâh Al-Qaradâwi considère, pour sa part, que, parmi les divertissements qui réjouissent les âmes, qui égaient les cœurs et qui font plaisir à l'ouïe, il y a effectivement le chant. L'Islam considère le chant comme licite tant qu'il ne contient pas de propos grossiers, obscènes ou incitant à la débauche. Et il n'y a aucun mal à ce qu'il soit accompagné de musique, si, du moins, celle-ci n'excite pas les nerfs. Le chant est recommandé lors des occasions heureuses, afin de répandre la gaieté et de divertir les âmes. Pour le grand philosophe Mohammed Iqbal dont le recours spontané au symbolisme musical est légendaire, la réalité est donc essentiellement esprit. Mais, bien entendu, il existe des degrés dans l'esprit. À travers la gamme tout entière de l'Être, jaillit la note du Je qui s'élève peu à peu jusqu'à ce qu'elle atteigne sa perfection dans l'homme. A. M. [email protected]