Parler du soufisme n'est pas chose aisée. À plus forte raison dans des pays où la culture religieuse ne semble pas être la préoccupation cardinale. Et où, derrière le voile, sans jeu de mots aucun, il n'y a que des apparences. Fort trompeuses, convient-il de le souligner, à l'instigation de dévots plus prompts à sanctifier un jeu de massacre qu'à s'élever à l'effet de conforter ce qu'il y a de plus beau sur terre, le trésor de sagesse et d'amour caché au plus secret d'une culture qui nous est pourtant familière. Lorsqu'il n'est pas farouchement contesté, le chemin spirituel merveilleusement bien éclairé par Sidi Abdel Kader al-Djillani est réduit par ses détracteurs à quelques manifestations de représentation et/ou de vénération. Il est aisé de citer, parmi les soufis les plus remarquables, les gnostiques, ceux qui ont atteint le but de leur voyage et qui sont, après les Prophètes, au plus haut degré de la perfection humaine, de l'avis même du réformiste et ancien recteur d'Al Azhar, je veux parler de cheikh Mohammed Abdou et ses Maqqâmat de Bad'î az-Zamâne al-Hamadhânî. Car ils transmettent, comme le dit admirablement Jallal Ûd Dîne Rumî “cette Lumière secourable qui est à l'origine de toute naissance”. L'approche du fondateur de la tariqa Al Alawiya procède de cette même logique. C'est à Mostaganem, qu'en 1894, le jeune chercheur de vérité Ahmed ben ‘Alioua rencontre le cheikh Sidi Hamou al-Buzidi (maître de la tariqa Darkawiyya-Shâdhiliyya), événement majeur qui oriente définitivement sa vie dans la voie des hommes de Dieu. La vivacité de son esprit et ses expériences spirituelles au sein de la confrérie des Aïssaouas font très rapidement de lui le successeur désigné de son maître. À la mort de celui-ci en 1909, il devient le nouveau guide et le revivificateur de la tariqa qui porte son nom et qui célèbre somptueusement, dès aujourd'hui, le centenaire de son existence. Avec Junayd al-Baghdâdî, il est aisé de dire que le soufisme, c'est Dieu te faisant mourir à toi pour renaître en Lui, ce que Abu Yazid al-Bistami traduisait en ces termes : “Quand le moi s'efface, alors Dieu est son propre miroir en moi”. Bien sûr, cette façon de voir n'est pas sans provoquer l'ire des gardiens du temple qui invoqueront le fait que, pour l'Islam, toute tentative de réduire la distance séparant Dieu Tout-Puissant de Ses adorateurs équivaille au polythéisme (shirk). Sur leur lancée, juristes et théologiens, commis des pouvoirs en place, initieront une véritable chasse aux sorcières. Accusé d'hérésie, Dhû l-Nûn al-Misrî, réputé alchimiste et thaumaturge, sera appelé à comparaître devant le khalife Al-Moutawakkil et l'inquisition se poursuivra jusqu'à la crucifixion d'Al-Hallâj et l'assassinat, en 1309 à Grenade, du poète et ministre zianide Abû Abdallah Mohammed Ibn Khamis. Sanctifiée par Abû Hamid al-Ghazali, à travers son ouvrage fondamental judicieusement intiluté Ihiya 'ulum ud-dîn ( La revivification des sciences religieuses) dans lequel il concilie la philosophie et la théologie la plus orthodoxe avec le soufisme qu'il considère comme le seul moyen de parvenir à la certitude, cette pensée allait doter le Maghreb et l'Andalousie d'un système de philosophie religieuse fondé sur l'intuition et l'illumination soudaine en prise directe avec les préoccupations des humbles et partant, d'un islam spécifique, mobilisateur à souhait autour de tâches pieuses comme de la défense de la patrie. A. M.