C'est une véritable bouée de sauvetage pour les démunis et les gens de passage que ce restaurant du Croissant-Rouge algérien, le seul ouvert durant ce mois de piété sur tout le territoire du chef-lieu de wilaya. Située sur une grande artère, en plein centre-ville et à quelques encablures du siège de la wilaya, l'imposante bâtisse se voit, chaque soir, assaillie par des centaines de personnes qui y convergent en quête d'un repas chaud et consistant servi, pour les hommes, au premier étage dans une immense salle climatisée, où l'hygiène est irréprochable et l'accueil, le respect et la dignité de tout un chacun sont une espèce de leitmotiv, digne d'une chaleur familiale. Une autre salle, réservée uniquement aux femmes, est aménagée au rez-de-chaussée où celles-ci, une dizaine se présentant chaque soir, sont prises en charge avec beaucoup de respect, de dignité et, surtout, de discrétion. Un grand coup de chapeau à ces dizaines de bénévoles au grand cœur qui, chaque jour, donnent de leur temps et de leur énergie pour apporter, un tant soit peu, de chaleur humaine et de réconfort à leur prochain dans le besoin. Les repas, comprenant un potage, un plat de résistance, un verre de lait, des dattes et des fruits, sont préparés chaque jour par cette petite armée de bénévoles qui, dès la demi-journée, tels des fourmis, s'attellent à éplucher, laver et couper les légumes avant de les faire mijoter dans de grosses marmites, étincelantes de propreté, posées sur les feux sous la responsabilité de deux cuisinières bénévoles. D'autres s'occupent de la mise en table avant l'arrivée des jeûneurs qui commencent à se présenter devant le grand portail deux heures avant l'Adhan annonçant l'Iftar, tant le flux est important. “Regardez par la fenêtre cette foule déjà impressionnante qui attend l'ouverture du portail. Les gens se bousculent pour avoir une place dans la grande salle climatisée, sinon il faut se rendre sur la terrasse”, nous fait observer Bakir, un artiste bénévole. “Cela renseigne sur la misère qui ronge de larges pans de la société algérienne. C'est encore plus visible pendant ce mois de Ramadhan, durant lesquels la misère de larges franges de notre société se dévoile, apparaissant nue au grand jour”, ajoute-t-il. Entre 500 et 650 repas copieux sont quotidiennement servis aux démunis et gens de passage dans une parfaite organisation. Le sourire et le gentil mot de bienvenue en prime, ce qui ajoute à la convivialité des lieux. Notre attention fut attirée par des espèces d'échantillons prélevés de chaque mets par un bénévole qui les mettait dans des boîtes hermétiques à placer au frigo. “C'est des plats témoins, ou échantillons, si vous préférez, que nous gardons au frais pendant 72 heures au cas où une intoxication viendrait à se déclarer, pour déceler rapidement le microbe”, nous tranquillise un autre bénévole qui avait suivi et compris notre interrogatif regard. Dans la salle et dans la longue chaîne qui se profilait à l'extérieur, nous avons constaté la présence de plusieurs dizaines de citoyens de pays subsahariens qui, selon le Dr Hadj Smaïl Zergoun, président du Croissant-Rouge algérien de Ghardaïa, “sont considérés comme tous les autres qui se présentent, et sont donc pris en charge en tant que tels. Nous n'avons pas à chercher à savoir d'où ils viennent, ni de quelle nationalité sont-ils et encore moins leur religion”. Et d'ajouter : “Notre rôle est de soulager, autant que faire se peut, la détresse de nos semblables dans le besoin. En un mot, nous servons et acceptons tout le monde.” En effet, dans cette immense foule, il y a des chômeurs, des laissés-pour-compte, mais également des travailleurs, des SDF, des attardés mentaux, des démunis… Il est 19 heures et c'est un vendredi. Plus de 500 personnes ont déjà été servies et la chaîne n'en finit pas de s'allonger. C'est, nous dit-on, le moment où l'on enregistre la plus importante affluence. De jeunes bénévoles se faufilent entre les rangées et les tables, demandant aux gens, avec beaucoup de tact et de sourire chaleureux, s'ils manquaient de quoi que ce soit. À l'appel du muezzin, indiquant la rupture du jeûne, un silence de cathédrale règne dans la salle. On mange en silence, savourant des mets concoctés avec cœur par des anonymes désintéressés. Certains, accrocs à la cigarette et au café, quittent précipitamment la salle, après avoir avalé quelques cuillères de chorba et mis le dessert dans la poche, une cigarette éteinte, pendant au bec. La demande sans cesse croissante de repas par des personnes pour le s'hour embarrasse les bénévoles qui ne peuvent contenter tout le monde. “Il nous est pratiquement impossible de répondre à leur demande tant nos prévisions sont tout le temps dépassées. En effet, on accueille chaque jour un nombre de nécessiteux dépassant de loin nos prévisions, ce qui déjà nous crée des difficultés pour nourrir tout le monde, alors que certains insistent pour avoir un deuxième repas à emporter pour le s'hour”, se plaint l'un des bénévoles en charge de la cuisine. Certains, plus futés, attendent que tout le monde ait mangé et que la majorité ait quitté les lieux pour demander un autre repas, alors que d'autres raclent les assiettes non entamées, déversant leur contenu dans des gamelles rapportées avec eux. À propos de sources de financement de ces restos du cœur, on signale avec amertume le peu de moyens dont dispose le Croissant-Rouge de Ghardaïa qui, même en puisant dans ses propres comptes qui rétrécissent comme une peau de chagrin, n'arrive que difficilement à joindre les deux bouts, languissant des subventions qui n'arrivent pas. Il convient néanmoins de souligner, selon le Dr Hadj Smaïl Zergoun, “l'appréciable geste de la commission de solidarité de la wilaya de Ghardaïa qui a consenti cette année un effort en débloquant la somme de 350 millions de centimes, que nous attendons de recevoir dans nos comptes”, espérant, ajoute-t-il, “que celui-ci soit suivi par d'autres contributions, notamment de l'APC de GhardaIa et celle de Bounoura, sans omettre celles des bienfaiteurs habituels”.