Nos journalistes ont enquêté sur le remaniement ministériel partiel survenu hier. Comment Bouteflika a procédé au changement du gouvernement au moment même où Ali Benflis, maître du FLN, annonçait sa candidature à l'élection présidentielle. Pour la première fois, des ministres livrent leurs confidences… Le toilettage de l'Exécutif que vient de décider le chef de l'Etat est le fruit d'une stratégie longuement mûrie. Liberté vous en raconte les principales étapes. Vendredi 5 septembre. 19h. La présidence de la République annonce un remaniement ministériel partiel retransmis dans le journal télévisé. À l'occasion de ce changement gouvernemental, le communiqué de la présidence annonce le limogeage de cinq ministres FLN. À peine une heure auparavant, soit à 18h, ni le secrétaire général du FLN, Ali Benflis, ni ses ministres, ni ses proches collaborateurs n'étaient informés de cette décision. Ce sont eux-mêmes d'ailleurs qui le reconnaissent : “Je ne savais pas que ce remaniement allait avoir lieu”, a déclaré, hier, à la presse Azzedine Youbi, le désormais ex-ministre des Postes et Télécommunications, au siège du FLN sis à Hydra (Alger). Abdelmadjid Attar, l'ex-ministre des Ressources en eau, a reconnu, de son côté, que cette décision était inattendue pour le vendredi : “J'ai appris le remaniement, vendredi, au marché. Je me suis même mis dans la soirée à traiter le courrier du ministère que j'avais en retard.” Preuve supplémentaire de l'effet de surprise de ce remaniement chez les ministres et les instances dirigeantes du FLN : dans la matinée de vendredi, le parti majoritaire avait menacé à l'hôtel Riadh (Sidi-Fredj), où se tenait la deuxième session du comité central, de quitter le gouvernement Ouyahia, au vu des blocages que vivaient les ministres du parti dans l'exercice de leurs fonctions ministérielles. La décision du remaniement a été donc prise dans le secret le plus total. Samedi 7 septembre. 12h. Le FLN a réuni son conseil de coordination. Cette instance d'une extrême importance regroupe l'ensemble des ministres du parti, les présidents des commissions parlementaires, le bureau politique et des membres du CC. Cette instance doit sortir avec une décision ferme en réaction au limogeage des ministres du parti majoritaire. C'est aujourd'hui que la décision du conseil de coordination devra être rendue publique, puisque les débats autour des initiatives à prendre ont duré jusque tard dans la soirée (lire également l'article de Saïd Rabia en page 3). Les ex-ministres du parti étaient tous présents à cette rencontre. Leur arrivée au siège du parti a, d'ailleurs, été fortement applaudie et saluée. “Toutes nos félicitations”, pouvait-on entendre à l'adresse des ministres limogés. La mise à la fin de fonction des ministres FLN a eu visiblement un effet contraire à celui escompté par la présidence de la République. “C'est une véritable libération”, déclarait l'ensemble des ministres limogés à chaque sollicitation de la presse. “Je suis franchement serein et tranquille. Cette décision est une libération pour nous. Maintenant, on doit passer à autre chose. Il ne faut pas croire ce que disent les gens quand ils racontent qu'on utilisait la double casquette. On étaient des ministres qui travaillaient pour leur pays sans oublier leur parti”, a déclaré, hier, Abdelmadjid Attar. “Il est plus facile de quitter le gouvernement que d'y rester. C'est difficile, car il faut avoir des principes”, explique de son côté, Mohamed Allalou, le désormais ex-ministre de la Jeunesse et des Sports, qui enchaîne pour dire qu'“il y a bien longtemps que j'ai fait mon choix. J'ai choisi d'être un citoyen militant au lieu d'être un ministre traître”. Zineddine Youbi, quant à lui, dira : “On ne peut pas me reprocher mon travail gouvernemental, je l'ai fait consciencieusement. Ils m'ont limogé uniquement parce que je suis du FLN”. Du côté des responsables du parti, on qualifie cette décision de provocation. “C'est un comportement néronien”, nous dit-on. “Bouteflika agit comme Néron qui a pensé brûler Rome, mais qui s'est brûlé lui-même. Aujourd'hui, Rome existe toujours, mais Néron n'est plus”, assène un haut responsable du FLN. À quel moment la décision du limogeage a été prise ? Les concepteurs de cette décision l'ont prise il y a de cela 20 jours. Leur identité : le président Bouteflika et son frère conseiller Saïd. Tous les ministres désignés ont été proposés par Saïd Bouteflika, à l'exception de Tayeb Belaïz. C'est l'ancien président Ahmed Ben Bella qui a recommandé ce dernier au Président et qui s'est porté garant de lui. Dans cette prise de décision, même si le communiqué de la présidence de vendredi dernier annonçait que le remaniement s'était opéré sur proposition du chef du gouvernement, Ahmed Ouyahia, en réalité, il n'en est rien. Bien au contraire. Ouyahia a été mis à l'écart de cette décision. Il n'a servi que de caution. Preuve en est que Ouyahia n'a même pas pris part aux consultations. C'est d'ailleurs le binôme Amar Tou-Rachid Harraoubia qui a mené les contacts avec les ministres nouvellement désignés. Aussi et de tous les ministres FLN prévus d'être limogés du gouvernement, le départ de Zineddine Youbi n'était pas prévu. Tout comme pour les nouveaux ministres, la désignation de Amar Tou et celle de Ould Abbès n'étaient pas pressenties. Surtout que Djamel Ould Abbès est particulièrement méprisé par Saïd Bouteflika, le frère conseiller du Président. C'est pourtant ce même Saïd qui a décidé de leur entrée au gouvernement. L'objectif de ce remaniement étant clair : affaiblir le FLN en “l'excluant progressivement des institutions de l'Etat”. C'est ce que soutiennent, en tous cas, des sources généralement bien informées. Aussi, et simultanément à l'affaiblissement du FLN, les conspirateurs “ont décidé de défier le parti majoritaire en intégrant dans le gouvernement des ministres issus du mouvement de redressement”. C'est aussi une façon de donner plus d'épaisseur et d'importance à ce mouvement “putschiste”. Mais, fondamentalement, la décision d'affaiblir le FLN a été prise par le cercle présidentiel au lendemain des résultats du VIIIe congrès du FLN. Le rôle du VIIIe congrès 20 mars 2003. Le VIIIe congrès du FLN vient de rendre publiques ses résolutions : désormais, le parti de Benflis s'approprie l'autonomie de sa décision. Autonomie par rapport à qui ? Par rapport au président Bouteflika qui veut s'appuyer sur le parti majoritaire pour rempiler. “Le FLN n'appartient qu'à ses militants. Veillez donc à ce qu'aucune tutelle ne s'exerce sur lui”, a recommandé, en substance, Ali Benflis, le secrétaire général du FLN et, à l'époque, Premier ministre, à ses militants. Cette recommandation n'a pas été entendue uniquement par les militants du FLN. Elle fut aussi reçue “cinq sur cinq” par les partisans du Président présents au congrès et par-delà, par le président de la République lui-même. À travers ces résolutions, les partisans de Bouteflika ont reçu une véritable douche écossaise. Tous les espoirs qu'ils ont nourris sur un probable soutien de Benflis et du FLN au président-candidat pour briguer un second mandat se sont brutalement effondrés. Mais, le président Bouteflika ne perd pas l'espoir de s'approprier le FLN. Il pense qu'il y a encore la possibilité d'amadouer le leader du FLN. Comment ? En exerçant sur lui un chantage. Mais, ce n'est pas le président qui exercera le chantage sur son chef du gouvernement. Cette mission a été dévolue au directeur de son cabinet, Larbi Belkheir. C'était en avril 2003. Le directeur de cabinet à la présidence de la République avait, en effet, dit au patron du FLN : “Si tu veux rester à la tête de l'Exécutif, tu dois soutenir avec le FLN la candidature du président Bouteflika pour 2004.” Le niet catégorique qu'a opposé Benflis à la demande de Larbi Belkheir a donné à ce dernier et au cercle présidentiel la mesure de la prise de distance du FLN par rapport au président Bouteflika. Depuis ce jour, le clan présidentiel, chapeauté par Saïd Bouteflika, a commencé son entreprise de sape contre le parti majoritaire. Comment ? En affaiblissant le FLN à tous les niveaux. À commencer par le niveau institutionnel. Simultanément à la décision de démettre Ali Benflis de la tête du gouvernement, le président Bouteflika a sondé les ministres FLN. Il a ainsi demandé à certains d'entre eux s'ils étaient d'accord pour le soutenir. Les ministres FLN qui lui ont expliqué leur fidélité au secrétaire général du parti, Ali Benflis, ont renforcé la conviction du Président de la nécessité de les limoger. Mais avant cela, il fallait d'abord les harceler au sein même du gouvernement. Comment ? En laissant l'ensemble des ministres du FLN en stand-by. C'est-à-dire en les empêchant de travailler. C'est ainsi que la quasi-totalité de ces ministres s'est vu interdire les visites présidentielles et les sorties sur le terrain. Tout comme les dossiers relevant de leur département furent systématiquement exclus des ordres du jour des conseils des ministres et des conseils de gouvernement. N. M.