Les électeurs turcs se rendent aux urnes aujourd'hui pour se prononcer par référendum sur une révision de la Constitution qui renforcerait le pouvoir du gouvernement islamo-conservateur face à l'opposition laïque. Cette consultation sera un test majeur de popularité pour le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan, dont le parti, au pouvoir depuis 2002 – une longévité exceptionnelle en Turquie – soutient des réformes libérales mais que les laïcs accusent de visées islamistes. Les sondages annoncent un scrutin très serré. Malgré les différences d'interprétation sur la prescription ou non des faits, la levée de l'impunité des militaires auteurs du coup d'Etat de 1980 est l'un des points les plus consensuels du projet qui comprend la révision de 26 articles au total de la Constitution, écrite en 1982 par les putschistes. Le vote interviendra 30 ans jour pour jour après ce coup d'Etat, le troisième de l'Histoire de la Turquie après ceux de 1960 et 1971, et le Parti de la justice et du développement (AKP, au pouvoir) a promis d'en finir avec “la tutelle des militaires” sur la vie politique. Saluée par l'Union européenne comme “un pas dans la bonne direction”, la réforme proposée limite aussi les prérogatives de la justice militaire et modifie, au profit du pouvoir, la structure de deux instances judiciaires, bastions de la laïcité et coriaces adversaires du gouvernement : la Cour constitutionnelle et le Conseil supérieur de la magistrature (HSYK) qui s'occupe de la nomination des juges et des procureurs. L'opposition laïque ou nationaliste affirme que cette réforme menace l'indépendance de la justice et remet en cause la séparation des pouvoirs. Pour elle, un vote positif aujourd'hui verra l'arrivée de proches de l'AKP dans ces hautes instances judiciaires à la composition élargie, ce qui permettra de mieux contrôler le judiciaire avant les élections législatives de 2011. La réforme soumet également la dissolution des partis politiques au contrôle du Parlement. En 2008, l'AKP avait échappé de peu à la dissolution pour activités anti-laïques. Les tribunaux ont aussi contribué à bloquer diverses réformes, comme la suppression de l'interdiction du voile islamique dans les universités. Une victoire du “non” redonnerait souffle et crédibilité à l'opposition, selon des analystes. Le parti du Premier ministre a remporté haut la main les dernière élections générales en 2007 (46,6% des voix) mais a manifesté des signes d'essoufflement lors des municipales l'an dernier (39,0%). L'AKP assure que cette réforme vers plus de démocratie sera un atout dans la candidature de la Turquie à l'UE, à laquelle des poids lourds de l'Union comme l'Allemagne et la France sont opposés. La réforme accorde en outre certains droits aux fonctionnaires et promet des mesures de protection de l'enfance. La campagne autour de cette consultation a divisé les Turcs avec des attaques entre M. Erdogan et ses principaux adversaires, Kemal Kiliçdaroglu, chef du parti laïc CHP, et Devlet Bahçeli, chef de file des nationalistes qui ont agité le spectre du “diktat civil” dans une Turquie où sont dénoncées des atteintes à la liberté de la presse et des écoutes téléphoniques illégales. Le gouvernement est aussi dénoncé pour sa diplomatie, accusée de rapprocher la Turquie, pays membre de l'OTAN, de l'Iran et de ses voisins arabes, et de se brouiller avec Israël, son ancien allié. La Turquie compte quelque 50 millions d'électeurs. Les bureaux de vote resteront ouverts de 05h à 14H00 GMT. Le vote est obligatoire, sous peine d'amende.