Dans cet entretien, la pionnière en termes d'introduction de la franchise en Algérie aborde les contraintes et les perspectives de développement de ce type de concept qui peut garantir souvent la transparence des transactions commerciales. Liberté : Comment se définit de façon succincte le concept de franchise ? Me Hind Benmiloud : La franchise qui se définit comme une méthode de collaboration entre d'une part, une entreprise, le franchiseur et d'autre part une ou plusieurs entreprises, les franchisés, un terme qui repose sur le savoir-faire, qui est un concept très ancien né aux Etats Unis dans les années 20, demeure jusqu'à présent très usité. En effet dans ce pays, la quasi-totalité des commerces sont des franchises. Cela va de la grosse distribution, hypermarchés, aux centres commerciaux et boutiques en franchise. Son succès a mené les Européens à l'adopter. Et ce mouvement s'est étendu et développé dans de nombreux pays dans le monde. Ceci précisé, il y a lieu de souligner que les commerçants qui ont choisi la franchise connaissent beaucoup moins de difficultés que les autres modes de consommation. Pour ma part, en 2004, ayant engagé certains contrats de franchise, j'ai décidé d'introduire en Algérie des franchises au profit de ma famille. J'ai conclu le premier contrat de franchise avec la marque Carré Blanc. J'ai ouvert une première boutique à Sidi Yahia à Alger. La seconde boutique de cette même enseigne sera ouverte d'ici fin septembre au centre commercial et de loisirs de Bab-Ezzouar, j'ai deux autres franchises Geneviève Lethu et Guy Degrenne situées à Sidi Yahia pour le moment. Quel est l'état de la franchise en Algérie ? En Algérie, la législation et la réglementation spécifiques sont inexistantes et bien que caractérisée par un vide juridique mais utilisée en la forme de contrat international, la pratique de la franchise n'est pas interdite. Elle connaît un développement, certes lent, mais qui prendra de l'ampleur au fil des ans. De ce fait, la question qui se pose est de savoir pourquoi la franchise ne se développe pas aussi rapidement. D'après nos recherches, quelques cas seulement de franchise ont été répertoriés environ 60 (Hyppopotamus, Carré Blanc, Lotto, Geneuviève Lettu, Guy Degrenne...). J'ai participé aux travaux sur la loi relative à la franchise avec le ministère du Commerce. Par ailleurs, nous avons effectué une mission en 2003 aux Etats-Unis avec le département du Commerce américain. La délégation algérienne était composée de représentants de trois administrations : le commerce, l'industrie et la participation et la Banque d'Algérie. L'objet de cette mission était d'analyser ce concept dans ce pays, de faire connaissance avec les franchiseurs et les franchisés qui ont réussi. Cette expérience était enrichissante dans la mesure où nous avons appris à distinguer les bienfaits de la franchise et à réfléchir sur les aspects à éviter. Depuis, j'ai maintenu le contact avec le ministère du Commerce pour formaliser le premier texte législatif sur la franchise, il faut souligner que bien que la franchise soit un contrat commercial, elle représente une combinaison du code civil et du code de commerce. Elle touche également à des aspects du droit de la propriété intellectuelle car c'est un contrat de savoir-faire, ce concept doit également tenir compte du droit de la concurrence. Lors de ces travaux, nous nous sommes posé la question de savoir pourquoi les commerçants algériens sont frileux vis-à-vis de la franchise ? Cette frilosité peut s'expliquer par des investissements importants des droits de douanes encore élevés sur bon nombre de produits et un cadre législatif et réglementaire incertain. Quelles sont les contraintes au développement de la franchise en Algérie ? Il y a lieu de noter, tout d'abord que le marché algérien demeure très spécifique car très différent des marchés de l'Union européenne et même des marchés maghrébins. Ses spécificités doivent être rigoureusement analysées afin d'adapter les concepts à la culture et aux besoins des consommateurs algériens. Ceci dit, les contraintes que subissent les franchisés résident principalement dans les délais d'acheminent des marchandises et les nouvelles procédures d'importation. Cela prend entre deux à trois mois entre l'ouverture de la lettre de crédit et la réception de la marchandise. Quand les pouvoirs publics prennent une décision brutale, on oublie tout ce qu'elle peut causer à l'entreprise qui est créatrice de richesses. Ces mesures se justifient et sont nécessaires toutefois il aurait fallu instaurer des campagnes de préparation avant d'appliquer les décisions. Par ailleurs, la législation actuelle sur le bail ne sécurise pas le locataire. Les prix de locations (notamment à Sidi Yahia) sont chers. Au centre commercial de Bab-Ezzouar, la durée de location peut aller jusqu'à 10 ans, cela sécurise davantage le locataire. Par ailleurs, la Banque d'Algérie maintient une réglementation des changes contraignante pour permettre le contrôle strict des flux de capitaux. Une loi sur la franchise devrait déboucher sur l'intégration de cette notion et les contrats de franchise devraient être strictement contrôlés par la Banque d'Algérie. Ainsi le paiement des royalties ne serait plus une entrave particulière en matière de réglementation des changes. Par ailleurs, des recherches et analyses du cadre juridique en vigueur, et des informations recueillies et de nombreux indicateurs dénoncent ces entraves à l'installation des franchisés du fait des désagréments que connaissent les opérateurs. En effet, outre la réglementation du contrôle des changes, restent les nouvelles dispositions de la loi de finances complémentaire pour 2009 et d'autres textes régissant le contrôle aux frontières. Il apparaît que ces faits pourraient être à l'origine du faible engouement des Algériens pour ce concept, d'autant qu'ils doivent payer des droits d'entrée dans le réseau du franchiseur et des royalties s'il s'agit du secteur des services. Quelles sont les perspectives de développement de la franchise en Algérie ? Malgré le retard pris par l'Algérie dans le secteur de la franchise, les expériences actuelles rencontrent un grand succès et contribuent au développement du pays par la mise à niveau (emploi/formation, techniques commerciales, qualité) et par les investissements qu'elles pourraient représenter à moyen terme. Force est de constater que les franchises ainsi disponibles au niveau national concernent essentiellement la distribution qui est plus facile d'accès. La place de la franchise dans le secteur de la production demeure encore faible. Ce constat nous interpelle tous dans la mesure où la franchise présente indéniablement de nombreux avantages et une alternative au commerce informel. Il faut continuer à développer les franchises en Algérie. C'est un commerce qui garantit la traçabilité des produits, la sécurité et la qualité pour les consommateurs. C'est un transfert de savoir-faire. Cela permettra aux jeunes Algériens de créer leur propre franchise qu'il s'agisse de commerce de service ou de production.