Le moment est venu de s'interroger sur les capacités réelles des branches industrielles algériennes à construire durablement une croissance hors hydrocarbures robuste. Pour parler le langage des chiffres il faudra d'abord répondre aux deux questions suivantes. Peut-on faire passer, et quand, le taux de la contribution du secteur industriel à la croissance du PIB national de moins de 5% -situation qui prévaut depuis deux décennies- à celui de 18% qui est la moyenne dans la région ? Que fait-on concrètement pour ce faire en dehors des effets d'annonce délivrés régulièrement depuis plusieurs années ? Rapide tour d'horizon par secteur, et pour faire simple, partons du plus lourd au plus léger. Commençons par la branche la plus lourde en capitaux et en technologies : la pétrochimie. Youcef Yousfi, le nouveau ministre de l'énergie et des mines, a demandé au préalable, à juste titre, d'user de son droit d'inventaire. Malgré les coups partis, il me semble que des ajustements pourraient se faire dans deux registres complémentaires. D'abord celui du réexamen des avantages offerts à cette branche, en matière de prix du gaz, rapportés à des niveaux acceptables de profitabilité. Ensuite celui de la modulation des quantités affectées, et donc du nombre et de la taille des projets, en fonction de l'évolution des réserves de gaz et celle des demandes à long terme des autres utilisateurs internes et externes. Il y a enfin à y intégrer un nouvel élément : la construction d'effets industrialisants pour la filière de la plasturgie qui a été en 2009, avec 4,5 % de croissance, la branche la plus dynamique de l'industrie. Il s'agira en l'espèce de la faire bénéficier des effets des avantages comparatifs consentis à la pétrochimie par des prix appropriés de ses inputs pétrochimiques. Dans les industries des matériaux de construction, et celle du ciment à titre principal, les lignes commencent à bouger sous la pression d'une demande nationale en forte croissance. Pour ce qui est de la branche ciment composée, pour le moment, de douze entreprises publiques (EPE) et du groupe Lafarge, elle se fixe comme objectif « d'augmenter la production nationale et investir dans d'autres unités de production ». Là aussi le prix concurrentiel du gaz qui participe de façon significative aux coûts de production soutiendra cet effort d'investissement d'autant que s'agissant des EPE, l'Etat offre sa garantie. Le groupe international de référence, cité plus haut, a finalement pris la mesure des enjeux du marché algérien sur sa propre croissance. C'est ce qui fait dire à Mustapha Benbada, ministre du commerce, que « le groupe Lafarge a répondu favorablement à notre proposition d'intégration nationale dans le but de juguler la spéculation sur les prix ». Mais en réalité il faudrait aller plus loin que la couverture des besoins nationaux en dégageant des capacités significatives à l'export. Dans le secteur des industries mécaniques le projet de fabrication, de montage et de maintenance des tramways à Annaba entre l'EPE Ferrovial et le groupe français Alstom commence à se concrétiser. Il devait en être de même pour la filière automobile dont le potentiel de croissance est appelé se transformer en capacités locales de production. Une étude récente du cabinet de conseil international Pricewaterhouse Coopers (PwC) indique que 93 millions d'unités seront produites en 2016 soit le double de 2009. Toujours selon PwC, la moitié da la production mondiale se fera, à partir de 2012, dans les pays émergents. S'agissant de l'Algérie, il faut rappeler qu'à la veille de la crise, en 2007, 60 concessionnaires avaient importé près de 220 000 véhicules sans qu'aucun site d'assemblage n'ait été développé par aucun d'entre eux ! Il est clair qu'aucun pays ne peut accepter qu'une telle situation perdure chez lui. C'est pourquoi le partenariat de SNVI avec Renault semble avoir été réactivé dans l'intérêt des deux parties, pendant que d'autres partenaires internationaux témoignent de l'intérêt. Dans la branche du verre, des initiatives avaient été prises avec la mise en service du projet du groupe Cevital et le projet industriel de St Gobain à Oran, pour autant que les derniers obstacles entre les parties soient réduits. On peut encore décliner d'autres branches industrielles pour lesquelles les politiques publiques de soutien sont clairement affichées. Par exemple celle de la pharmacie qui a bénéficié d'un certain nombre de mesures : préférence nationale en matière de génériques, suppression de la taxe sur l'activité professionnelle (TAP), obligation de développer des réseaux de distribution pour maintenir au profit des producteurs les valeurs ajoutés générées. Aussi certains acteurs de la branche réactivent leurs programmes d'investissements : le groupe public Saidal a commandé auprès du cabinet italien CTP System une étude en vue « de porter le capacités du groupe Saidal de 135 millions à 298 millions d'unités de ventes, soit pratiquement le doublement des capacités de production » et le groupe international SANOFI/Avantis projetterait également de réaliser un important complexe. Enfin dans la branche agroalimentaire on peut noter que les excédents agricoles qui commencent à apparaître depuis deux ans dans les céréales et la tomate industrielle par exemple posent des problèmes nouveaux mais constituent également des opportunités de croissance pour la branche. Ainsi la filière de la tomate industrielle qui avait perdu 25 000 hectares de surfaces cultivables en dix ans revient cette année avec une production exceptionnelle. Pour conclure on voit bien que le potentiel de développement industriel de l'Algérie est important et varié et que les atouts pour le transformer en capacités productives compétitives sont nombreux. De plus, depuis le temps que l'on produit des stratégies et des politiques industrielles les verrous, notamment les rentes et autres pesanteurs, sont bien identifiés. Il revient aux élites politiques de les réduire et aux élites économiques de faire le reste. L'enjeu est de taille pour le pays.