Une LF ne peut prétendre, contrairement à ce qu'affirme le ministre des Finances, modifier le statut d'une économie. La LFC n'a certainement pas vocation à instaurer une économie de production. On ne passe pas d'une économie rentière à une économie de production par la seule grâce d'une loi de finances. Jamais un texte de loi, dans aucun pays et à aucune période, n'a transformé la nature d'une économie. Le même constat s'impose en ce qui concerne l'apport des finances publiques à la croissance économique. Celui-ci n'a été démontré que dans les économies productives dont les agents sont capables de créer des richesses et des emplois mais qui, pour des raisons conjoncturelles, privilégient l'épargne sur l'investissement. L'Etat décide alors d'injecter dans l'économie un surcroît de demande par des dépenses publiques qui vont augmenter les moyens des producteurs auxquels ces dépenses s'adressent. A leur tour, ces producteurs vont se porter acquéreurs de nouveaux biens, ce qui aura pour effet de gonfler la demande faite à d'autres producteurs. Et ainsi de suite. La dépense injectée dans l'économie aura un effet ultime qui sera supérieur au montant de la dépense publique. C'est ce qu'on appelle le multiplicateur keynésien. A lire les grandes tendances de la LFC pour 2009, on peut dire qu'elle constitue une adaptation du multiplicateur keynésien aux réalités économiques et sociales algériennes. Mais, à supposer que le keynésianisme puisse avoir encore quelque fortune devant le caractère de plus en plus ouvert de l'économie mondiale en constituant un soutien mécanique de la croissance, il est exclu qu'il puisse avoir un quelconque effet positif en Algérie, avant que l'économie algérienne elle-même n'ait été profondément transformée. En prend-on le chemin? Il est encore trop tôt pour le dire. Ce qui est sûr, en revanche, est qu'une LF ne peut prétendre, contrairement à ce qu'affirme le ministre des Finances, modifier le statut d'une économie. S'il suffisait d'élaborer un texte de loi pour assurer les mutations de l'économie algérienne, afin que celle-ci créât emplois et richesses, cette solution aurait déjà été appliquée, il y a près de 30 ans, lorsque les responsables politiques de l'époque s'interrogeaient sur la façon de sortir de la dépendance à l'égard des hydrocarbures. En revanche, ceux qui ont élaboré la LFC doivent être loués pour leur lucidité. Bien des Algériens pensent qu'il aurait été possible de poursuivre indéfiniment sur la voie des importations tous azimuts. Or, notre pays n'a pas les moyens d'importer pour 40 milliards de dollars /an lorsqu'il exporte pour seulement 600 à 700 millions de dollars hors hydrocarbures pour la même période. En 1995, la Banque d'Algérie avait prévu que le montant des exportations hors hydrocarbures atteindrait deux milliards de dollars en 2000. Dix ans après, alors que l'appareil de production est censé avoir été mis à niveau, notre pays exporte à peine le tiers du montant escompté par le policy maker de l'époque. Si le gouvernement n'avait pas mis un coup d'arrêt à la dérive des importations, nos réserves de change, estimées aujourd'hui à 147 milliards de dollars, auraient fondu d'ici 2014-2015. Et à partir de là, l'Algérie aurait commencé un long chemin de croix, en comparaison duquel les difficultés économiques et sociales, caractéristiques de la période 1986- 2000, n'eussent été qu'un mauvais souvenir. Nos importateurs croient-ils réellement que l'Algérie pourrait, en cas de crise d'illiquidité durable, emprunter sur les marchés financiers? Pensent-ils qu'elle pourra s'adresser au FMI, sans avoir à justifier l'usage qu'elle aura fait de ses recettes pétrolières et gazières ainsi que celui du Fonds de régulation des recettes (FRR)? Qu'elle n'aura pas à répondre indirectement, dans un contexte où les paradis fiscaux et les banques off shore sont devenus le point de mire des responsables du G 20, de l'impunité dont risquent de bénéficier un certain nombre de personnes, à propos de l'utilisation qu'elles auraient faite de dizaines, voire de centaines de milliards de DA, en leur qualité d'ordonnateurs des dépenses publiques? Le président de la République et le gouvernement sont attendus sur l'ensemble de ces questions et ils devront apporter à l'opinion publique les éclaircissements utiles, de nature à dissiper le soupçon qui pèse désormais sur tout détenteur public d'une parcelle d'autorité. D'ores et déjà, les responsables gagneraient à mettre en tête de leurs priorités la gestion prudente des finances publiques, l'instauration d'une revue générale des dépenses publiques, l'effectivité de contrôles rigoureux de l'utilisation des fonds publics et la liberté reconnue à la justice et aux organes juridictionnels de contrôle, de procéder à toutes investigations utiles destinées à mettre au jour la dissipation des deniers de l'Etat, détournements, pots-de-vin, infractions au droit impératif des affaires. L'Etat algérien n'a pas besoin de se transformer en grand Inquisiteur. Il doit jouer son rôle de contrôleur, de régulateur, d'animateur et d'arbitre, sauf à abdiquer toute autorité et laisser l'économie de marché partir en quenouille. Dire la vérité aux Algériens Dans le même temps, le gouvernement doit dire la vérité aux Algériens. Il n'en sera que plus à l'aise pour le faire, dès lors qu'il aura administré la preuve qu'il n'est pas au service d'intérêts particuliers. Le langage de la vérité est que notre pays vit au-dessus de ses moyens (Cf. notre chronique du 13 septembre 2009). Certes, ce paradigme soulève une objection légitime, à savoir qu'il englobe tous les agents économiques. Mais il est possible de l'expliquer. Vit au-dessus de ses moyens tout pays qui exporte pour moins d'un milliard de dollars par an (hors hydrocarbures) et qui importe pour 40 milliards de dollars, dont une partie non négligeable n'est pas indispensable à la réhabilitation ou à la modernisation de l'appareil de production. Vit au-dessus de ses moyens, tout pays qui dispose d'un formidable potentiel de développement, recèle des facteurs d'attractivité naturels importants pour les investisseurs étrangers et qui n'a de cesse de les gaspiller, au point de figurer parmi les tout premiers pays au monde, pour les dépenses improductives. Il faut rappeler que, dans le cadre de l'accord dit de «Facilité de financement élargi», conclu en avril 1995 avec le FMI, la convertibilité commerciale du DA engageait notre pays à privilégier l'achat de biens d'équipements et de biens de production pour remettre en état de marche la machine économique. Les données financières et commerciales fondamentales n'ont guère changé depuis. Il est fallacieux d'affirmer que les entreprises algériennes importent des biens de consommation à partir de leurs ressources propres, alors que seule la convertibilité commerciale du DA leur permet d'accéder aux opérations du commerce extérieur. L'Etat algérien est garant de la bonne utilisation des devises qui proviennent toutes de la fiscalité pétrolière. Il a décidé de ne plus autoriser une armée d'importateurs à faire venir en Algérie des biens de consommation, achetés à bas prix, de qualité médiocre et souvent contrefaits. Aucun Etat digne de ce nom ne peut accepter que la démonopolisation du commerce extérieur soit le moyen par lequel de pseudo chefs d'entreprise se transforment en multimilliardaires, l'espace de quelques coups en douane, alors que le secteur public économique est sous perfusion, que le secteur privé ne peut pas se développer (ne serait-ce qu'en raison de l'insignifiance des fonds propres des PME) et que le marché de l'emploi est fermé à plus de 70% des diplômés de l'enseignement supérieur. Ceci dit, une chose est pour l'Etat de préserver les ressources financières rares dont dispose le pays, autre chose est de s'engager sans délai dans la définition d'une stratégie industrielle englobant le secteur public et le secteur privé. C'est du reste à l'occasion de cet exercice que devra être déterminée la liste des biens de production éligibles, en toute priorité, aux importations. L'idéal serait que le gouvernement et le FCE parviennent à se mettre d'accord sur les grandes orientations d'une politique industrielle qui intégrerait par la force des choses les énergies de substitution au pétrole, l'Algérie ne pouvant rester indéfiniment à l'écart des projets conçus à l'échelle euro-méditerranéenne pour développer les énergies solaire et éolienne, à côté de l'énergie nucléaire. En outre, l'Algérie dispose, grâce à ses 16 millions de palmiers dattiers, d'un potentiel absolument fantastique pour le développement du carburant vert dit nakhoil (V.B.Zitouni, Nakhoil. Le carburant vert qui nourrit le monde, Alger, 2009). Qu'attend-on pour mettre celui-ci en valeur, d'autant que la viabilité économique du modèle phoenicicole a été démontrée et qu'elle donne d'excellents résultats dans les pays arabes du Golfe? Un bilan pour le secteur public Lorsque le ministre de l'Industrie, H.Temmar, est interpellé à propos de la stratégie industrielle dont ses contempteurs piaffent de n'en pas apercevoir les linéaments, on est tenté de leur répondre que, c'est en janvier 1988, qu'ont été créés les fonds de participation dont la vocation était «d'étudier et de mettre en oeuvre toute mesure propre à favoriser l'expansion économique et financière des EPE» (loi n°88-03 du 12 janvier 1988, article 10). On ajoutera que l'ordonnance n°95-25 du 25 septembre 1995 relative à la gestion des capitaux marchands de l'Etat assignait aux holdings publics la mission de «définir et développer ses stratégies et politiques d'investissement et de financement dans les sociétés affiliées, ainsi que toute politique de restructuration et de redéploiement des entreprises, compte tenu des contraintes du marché» (article 9). Les mêmes prérogatives sont confiées aux SGP depuis 2001. Le moment n'est-il pas venu de dresser le bilan de l'activité de toutes ces institutions, censées contrôler et accompagner les EPE dans leur développement? Quel a été leur apport à la politique industrielle algérienne? Ces institutions ont-elles rempli les obligations à elles imparties par la loi? Quelles ont été leurs contraintes? De quels moyens ont-elles disposé? Les EPE qui y sont affiliées ont-elles été affaiblies dans leur management par leur subordination directe ou indirecte aux SGP ou au contraire raffermies? Le concept d'autonomie de l'EPE qui était au centre de la réforme de janvier 1988, n'a-t-il pas été vidé de sa substance, au regard des faibles marges de manoeuvre de certains responsables des EPE, quant au choix des partenaires économiques qui pouvaient les aider à développer les capacités de production de leurs entreprises? C'est à cet ensemble de questions qu'il serait souhaitable de répondre, plutôt que de fustiger le ministre de l'Industrie et de la Promotion des investissements qui ne commande qu'à une partie des institutions habilitées normalement à élaborer cette fameuse stratégie industrielle. Enfin, on attend que le politique nous dise si cette stratégie est encore réellement indispensable, compte tenu des retards importants accumulés par notre pays, en termes d'avantages comparatifs, ne serait-ce que dans la région euro-méditerranéenne? L'expertise attendue du FCE Il est peut-être un peu regrettable que le FCE n'ait pas mis à profit sa réunion du 15 septembre dernier pour avancer des propositions constructives en partant des contraintes objectives de l'économie algérienne. Une nouvelle fois, on a dressé l'état des lieux de l'économie algérienne avec un esprit chagrin et on s'est focalisé sur la LFC pour 2009, alors que celle-ci n'est, après tout, qu'un épiphénomène dans l'immense configuration institutionnelle du paysage économique et social. Ceci dit, qu'on le veuille ou non, l'Algérie est toujours en phase de désindustrialisation. Ce n'est pas le Pcsc qui possède la vertu de l'en faire sortir ni du reste le plan quinquennal de développement (2009-2014). Personne n'a le droit de confondre une politique volontariste des grands travaux avec la remise en marche de l'appareil industriel, alors surtout que les fameuses synergies positives prêtées par le décideur aux grands travaux n'existent encore qu'à l'état virtuel. Quant au FCE, il doit comprendre que la reconquête du marché algérien est extrêmement difficile, dès lors que notre économie reste structurellement tournée vers l'importation. C'est au FCE de proposer au gouvernement une véritable stratégie sectorielle de développement, au lieu de surfer indéfiniment sur les divers instruments d'incitation à la création d'entreprises, lesquels instruments sont d'une efficacité aléatoire, car ils partent tous du postulat controuvé que l'économie algérienne est une économie de production. A beaucoup d'égards, le FCE s'est laissé piéger par la problématique de la LFC (dont le contenu, encore une fois, n'est pas inscrit dans le marbre) au lieu de décliner ce que doit être une politique publique, nationale, régionale ou locale favorable au développement de filières industrielles. Les sujets sur lesquels des recommandations argumentées du FCE sont attendues sont les suivants: (1) l'Algérie a-t-elle les moyens de bâtir un ensemble économique qui puisse réaliser en son sein l'homogénéisation des différentes branches de l'industrie, nonobstant les dimensions de son marché intérieur et de sa segmentation? (2) Notre pays ne devrait-il pas se contenter (ce qui serait déjà beaucoup) de devenir une zone de délocalisation d'un certain nombre de segments de la production industrielle et d'adapter toutes ses entreprises à la sous-traitance internationale, à l'instar du Maroc et de la Tunisie? (3) À cette fin, quelles seraient les politiques budgétaire, monétaire et de redistribution les plus appropriées?(4) Pour quel type d'aménagement du territoire faudrait-il opter? Ce sont là quelques-uns des problèmes de fond qu'il est urgentissime de soulever et de traiter. (*) Professeur en droit des affaires à l'Université d'Alger