Katiba était d'abord une voix. Une voix rauque de chanteuse de jazz qui n'avait pas d'équivalent à la radio Chaîne III où elle officiait. Katiba était un ton : espiègle, fin et convivial qui accrochait l'auditeur pour ne plus le lâcher jusqu'à la fin. Katiba était un cœur : chaleureux, compatissant, aimable, capable de contenir toute l'Algérie en lui. L'Algérie et ses montagnes, l'Algérie et ses plaines, l'Algérie et son Sahara, et ce qui est moins évident, l'Algiré et ses hommes. Car il faut avoir un grand cœur et des capacités de tolérance de sainte pour les aimer ces Algériens. Tous les Algériens ? Non, évidemment non. Seulement ceux qui appartiennent à l'Algiré. Et pourtant, miracle de sa nature, Katiba les aimait avec leurs défauts et leurs outrances, leurs bêtises, leur grande gueule et leur surprenante gentillesse qu'elle cherchait là où elle était tapie. Elle savait gratter là où il fallait pour découvrir sous l'écorce le mou de l'Algérien. Mais pour chercher, il faut aimer. Et Katiba aimait les Algériens. Aimait l'Algérie. C'est peut-être bête de le dire par ces temps de surenchère nationaliste, mais disons-le pour être fidèle à sa mémoire : Katiba aimait l'Algérie avec ses tripes. On lui aurait offert le paradis, elle aurait refusé en disant : “Mais je suis au paradis en Algérie !” Et pourtant, sa vie de tous les jours n'était pas facile. Mère de famille travailleuse, elle était ici et là-bas, elle était derrière ses fourneaux et derrière le micro. Et dans les deux elle excellait. Pour avoir eu l'honneur d'avoir été son invité, je peux dire ce qui la distinguait. D'abord, suprême professionnalisme, elle n'envahissait pas l'espace, ne cannibalisait pas son invité : elle le laissait parler, le mettait en valeur, dialoguait avec lui avec un sens de la répartie tout à fait admirable. Elle n'avait pas besoin de se mettre en valeur à son détriment, elle savait que la meilleure manière de valoriser son émission, c'est de tirer le meilleur de l'invité dans un échange interactif. Voix posée, elle prenait le temps de parler, elle prenait le temps d'écouter, elle prenait le temps de vivre et de faire vivre ses auditeurs qu'elle tenait par la main pour une balade où elle lui montrait à chaque fois le génie algérien. Génie dans le sens de merveilles cachées que nos yeux ne veulent ou ne peuvent pas voir. À sa façon, c'était un maître de vie Katiba. Comme tous les maîtres, elle ne donnait pas de leçon, elle se contentait d'être ce qu'elle était et de crier son admiration pour les êtres. Crier son admiration, vous vous rendez compte ? En restent-ils beaucoup en Algérie de cette sorte de personnes qui ne craignent pas de mettre en valeur tous les êtres quels qu'ils soient sans esprit marketing ? Elle n'était mue que par l'amour des êtres, Katiba et non par l'intérêt, une notion étrangère à son vocabulaire. Malade depuis quelques années déjà, Katiba s'est battue contre le mal qui la rongeait. Sans une plainte. À la voir faire ses courses à Tipasa un peu plus faible chaque jour mais tête haute, à l'écouter à la radio, voix gaie, voix forte, on ne dirait pas qu'elle est rongée par un mal irréversible. On croirait qu'elle a la meilleure santé du monde. Katiba, en femme courageuse, a compris que la meilleure façon de mourir prématurément est de se plaindre pour susciter la pitié et la compassion. Elle ne voulait pas mourir dans les yeux des autres. Elle voulait rester vivante, elle qui a tant honoré les morts dans ses émissions. D'instinct, elle a compris que mourir n'est rien si on vit dans le cœur des autres. H. G. [email protected]