Le cabinet des douze est le titre d'un livre écrit par Laurent Fabius, ancien Premier ministre français et ancien président de l'Assemblé nationale, publié récemment aux éditions Gallimard. Ecrire l'histoire d'un pays à travers douze toiles est un défi. Douze toiles qui ont fait la France. Un politicien qui enfile un vêtement d'historien d'art engage un challenge de taille. En lisant le livre, j'ai découvert que l'écrivain n'est pas uniquement un “bon parleur” mais aussi un “bon regardeur” ! La force de ce livre réside dans cette qualité intellectuelle au sein de la classe politique française qui se manifeste dans la façon de voir et de vivre ce monde fragile qu'est la peinture qui entoure le politique et le questionne. Bien que je sois un amateur de peinture, de photographies et des musées, ce livre ne m'a pas trop intéressé. Mais il me rappelle une histoire de chez nous, une histoire qui dévoile le comportement de notre classe politique vis-à-vis de l'art, vis-à-vis des musées. Et voici l'histoire qui s'est déroulée à Oran : dans les années quarte-vingt, l'Algérie “officielle” a reçu une grande personnalité étrangère officielle de premier rang. Pour meubler ces trois jours de visites officielles de cet “officiel”, nos “officiels” lui ont programmé une visite dans la ville Oran, deuxième ville de ce pays paradisiaque. Une fois arrivé dans la ville de Sidi Lhouari, il a été reçu par les troupes de karkabou et le baroud des cavaliers “Ashab Al baroud wa al carabila.” Puis l'heure du départ est venue. Et comme le dicte la tradition officielle, un “beau cadeau” inoubliable doit être offert à cette personnalité officielle. Partout, on a alors cherché le bon cadeau qui pourra faire plaisir à l'invité de marque. Le cadeau qui subjuguerait la griffe politique ! Et Eurêka ! On a trouvé la bonne et géniale idée. Ainsi, l'officiel de chez nous a demandé à ses sujets d'aller choisir la meilleure pièce du musée d'Oran pour en faire un cadeau à cet invité de marque ! La griffe ! Et après une recherche sérieuse, historique et artistique ; après évaluation scientifique de toutes les pièces maîtresses du musée, ils se sont mis d'accord sur la pièce suivante : l'épée de l'Emir Abdelkader. Et c'est dans une cérémonie “cérémoniale” et “pompeuse” que l'épée de l'Emir a été remise à l'invité officiel. Juste pour vous rafraîchir la mémoire : le musée d'Oran est baptisé au nom du chahid Ahmed Zabana : premier guillotiné de la révolution algérienne ! Je ne donne pas de leçons, mais c'est juste pour vous le rappeler. Et je vous rappelle aussi qu'un certain Yves Saint-Laurent, fierté de la France, a fait ses études à l'Ecole des beaux-arts d'Oran située juste au dos du musée Zabana. En recevant ce cadeau enveloppé dans un discours protocolaire, l'invité officiel s'est trouvé embarrassé et indécis par “ce cadeau” ! Et dès son retour dans son pays, l'invité officiel n'a pas tardé de remettre le cadeau à l'ambassadeur de notre pays, accompagné d'un petit mot très poli ressemblant à ceci : “Ceci est une pièce maîtresse, chère à votre peuple. Elle doit rester chez vous, dans les musées de votre pays qui a traversé les épreuves les plus dures de l'histoire contemporaine.” En lisant le livre Le cabinet des douze de Laurent Fabius, écrit sous forme d'un voyage thématique de douze œuvres en compagnie des grandes signatures : les Frères Le Nain, Quentin de La Tour, Monet, Gauguin, Pissarro, Daumier, Caillebotte, Picasso, Manet, Renoir, Soulages, Matisse… , dans mon amertume, je me suis demandé : Y-a-t-il, dans les ingrédients de “la mixture” de notre classe politique, des “éléments” qui prennent le temps, à la “manière algérienne”, de visiter les musées, d'apprécier et de méditer sur l'histoire de l'Algérie, faite aussi dans une grande révolution sans fusils, une révolution de toiles, de pastels ou de photos signés par des soldates et des soldats de haut mérite : Issiakhem, Temmam, Ali Ali-Khodja, Abdellah Benanteur, Baya, Rachid Koraïchi, Yellès, Aïcha Hadda, Azouaou Mammeri, Ammar Allalouch, Ben Debbagh, Arcelène, Ali Marok, Nasreddine Dinet et les Racim… et les autres. A. Z. [email protected]