En décidant de bannir Yasser Arafat, le chef du gouvernement israélien ne s'attendait certainement pas à cette levée de boucliers à travers le monde. Cloué au pilori par les condamnations unanimes et par la position hostile des cinq grands de ce monde, réunis samedi à Genève, vis-à-vis de sa politique palestinienne, le patron du Likoud reporte l'exécution de sa décision en attendant un retournement de situation en sa faveur. Le leader du Fatah est sorti vainqueur de ce premier bras de fer. Fin politicien doublé d'un diplomate avéré, Yasser Arafat a réussi à pousser son éternel ennemi, Ariel Sharon, à la faute. Excédé par la gestion du président de l'autorité palestinienne du conflit opposant les deux parties depuis des lustres, et surtout par son statut d'élément incontournable dans le règlement de cette crise, le premier ministre israélien a cédé à la tentation de se débarrasser une bonne fois pour toutes de cet homme, qui constitue une entrave à ses objectifs visant à asservir le peuple palestinien et le spolier de tous ses droits, notamment sa terre. Arafat, qui s'oppose à Israël depuis 1959, est bien “rodé” à la politique des dirigeants de Tel Aviv. Il sait toujours quelle attitude adopter en fonction de son interlocuteur, contrairement à Ariel Sharon, le militaire de carrière nouveau venu en politique, manquant de tact et surtout d'expérience. Son arrivée au pouvoir est essentiellement due à l'espoir qu'il avait fait naître parmi les Israéliens de leur assurer la sécurité par sa politique du tout sécuritaire. Contrairement à ses prévisions, les résultats ont été catastrophiques et les espoirs de paix qui commençaient à se profiler à l'horizon après les accords d'Oslo du 13 septembre 1993, se sont effilochés au fil et à mesure que les attentats suicides des mouvements radicaux palestiniens répondaient aux raids et autres incursions de l'armée israélienne dans les territoires autonomes. Avant même de prendre les rênes du pouvoir, Sharon avait déjà mis le feu aux poudres par sa visite provocatrice sur l'esplanade des mosquées en septembre 2000, déclenchant la seconde Intifadha des Palestiniens. En moins de trois ans à la tête du gouvernement israélien, le boucher de Sabra et Chatila est responsable de la mort de plus de 3 400 personnes, 2 600 Palestiniens et 800 Israéliens, par sa politique outrancièrement sécuritaire. Voyant que son but est loin d'être atteint et pensant que l'élimination de Yasser Arafat pourrait être la clé de sa réussite, il opte pour son bannissement. Hélas pour lui, sa décision n'a pas eu l'effet escompté. Pis, il s'est retrouvé l'objet d'une réprobation générale à travers le monde. Une fois de plus, la force s'est avérée inutile face à la ruse du vieux leader de l'OLP, qui a montré tout son art de la politique dans les moments difficiles. A chaque fois qu'il s'est retrouvé en position défavorable face aux Israéliens, Yasser Arafat a toujours su tirer son épingle du jeu et renverser la vapeur. Toute la pression américaine pour l'isoler sur la scène internationale s'est avérée vaine. Ariel Sharon est tombé dans le piège tel un novice et se voit obligé de faire le dos rond pour absorber les multiples critiques fusant de partout contre sa décision d'expulser le symbole historique de la révolution palestinienne de sa patrie. K. A. Les Cinq brandissent la “feuille de route” Les cinq pays membres permanents du Conseil de sécurité, réunis samedi à Genève pour envisager l'avenir de l'Irak, en ont profité pour réaffirmer qu'Israéliens et Palestiniens devaient respecter la "feuille de route", au moment où Israël menace d'expulser Yasser Arafat. Les Cinq (Etats-Unis, France, Russie, Chine, Grande-Bretagne), représentés par leurs ministres des affaires étrangères, jugent "essentiel de continuer d'appliquer" ce plan international pour rétablir la paix entre Israéliens et Palestiniens, a déclaré samedi le secrétaire général de l'Onu, Kofi Annan à l'issue de la réunion. Les Cinq “ont reconnu que les deux parties ont des obligations aux termes de la “feuille de route” et qu'ils doivent les respecter”, a-t-il ajouté lors d'une conférence de presse. La “feuille de route”, élaborée par le Quartette (Etats-Unis, Nations unies, Russie, Union européenne), définit les étapes qui doivent conduire à la création d'un Etat palestinien indépendant vivant en paix aux côtés d'Israël. Elle prévoit l'instauration de cet Etat palestinien d'ici à 2005 en échange de garanties de sécurité pour l'Etat hébreu. Son application est menacée par la multiplication récente des attentats terroristes en Israël et par l'annonce, jeudi soir, par le gouvernement d'Ariel Sharon qu'il avait la ferme intention d'expulser le président de l'Autorité palestinienne, Yasser Arafat, à une date non déterminée. Ni Kofi Annan ni les cinq ministres présents samedi à Genève n'ont fait de référence explicite samedi à la décision de principe israélienne. Elle a suscité des mises en garde dans le monde entier et les cinq pays l'avaient unanimement dénoncée auparavant. Le Conseil de sécurité des Nations unies a demandé vendredi à Israël de “ne pas (la) mettre en œuvre”. Le ministre saoudien des Affaires étrangères Saoud Al-Fayçal a, pour sa part, averti qu'une expulsion de Yasser Arafat des territoires palestiniens serait un “coup de grâce au processus de paix” au Proche-Orient. M. Annan a confirmé samedi que le Quartette se réunirait “avant la fin du mois” à New York au niveau des chefs de la diplomatie. Il “envisagera tous les aspects pertinents du problème et déterminera la meilleure manière d'aider les parties à faire avancer le processus”, a-t-il ajouté. Le Quartette s'est réuni samedi à Genève, mais au niveau des émissaires spéciaux seulement, parallèlement aux travaux des ministres. Les rencontres du quartette au niveau ministériel rassemblent généralement le secrétaire d'Etat américain, Colin Powell, son homologue russe, Igor Ivanov, Kofi Annan ainsi que le haut représentant diplomatique de l'Union européenne, Javier Solana, et le ministre des Affaires étrangères du pays qui assure la présidence de l'Union européenne, actuellement l'Italien Franco Frattini.