Il n'y a pas que les Algériens qui constatent l'immobilisme stratégique du régime Bouteflika. Dans un rapport publié aujourd'hui qu'Amnesty International (AI) consacre à “l'impact des initiatives envisagées ou mises en œuvre par les autorités algériennes au cours de ces trois dernières années”, l'ONG fait un véritable constat de carence et parle d'“incapacité persistante” de l'Etat “à transformer ses promesses en actes”. Le verdict de l'organisation est d'autant plus significatif qu'il survient au moment où elle montre une réelle évolution sur ses positions exclusivement antigouvernementales des années passées. Il n'est plus question des seules exécutions extrajudiciaires, des tortures et des disparitions jusqu'ici attribuées au pouvoir en général, à l'armée en particulier et à la Sécurité militaire tout spécialement. AI revendique une prise en charge de l'impact engendré par “les dizaines de milliers d'homicides, les milliers de cas de tortures imputables aux groupes armés ainsi qu'aux forces de sécurité et aux milices armées par l'Etat”. En renvoyant dos à dos le pouvoir et le terrorisme islamiste, AI laisse la porte ouverte à la quête de vérité. C'est tout de même une remarquable mutation méthodologique pour cette organisation internationale que de passer du parti pris soupçonneux et systématique à l'hypothèse d'instruction. En effet, ce qui est dénoncé, c'est le fait qu'“aucune enquête approfondie, indépendante et impartiale n'a été effectuée sur les atteintes massives aux droits humains commises depuis 1992 et qui constituent des crimes contre l'humanité”. Et ce qui est revendiqué, ce sont des mesures concrètes “pour aborder les séquelles de la décennie écoulée durant laquelle l'Algérie a été confrontée à une crise des droits humains d'une ampleur effroyable”. Or, aujourd'hui, et Amnesty International s'en rend compte aussi, l'obstacle à la vérité et au traitement des séquelles de la décennie rouge, c'est la concorde civile. L'immunité des terroristes rend irréalisable toute étude rétrospective de la tragédie algérienne, en même temps qu'elle constitue une injustice absolue puisqu'elle absout des crimes contre l'humanité. Comme l'observe lumineusement Amnesty, “l'application extrajudiciaire de mesures de clémence” empêche “la vérité sur les atteintes graves aux droits humains”, d'une part, en garantissant “l'impunité des responsables”, et prive “des dizaines de milliers de victimes de leur droit à la réparation”, d'autre part. En d'autres termes, et en matière de crime contre l'humanité, la grâce extrajudiciaire est un crime de même statut que l'exécution extrajudiciaire ! Le témoignage d'Amnesty confirme que les droits de l'Homme qui tendaient à s'améliorer “depuis la seconde moitié des années 1990” ont régressé ces trois dernières années. La concorde civile, véritable opération de recel de vérité et d'atteinte aux droits à la justice, est enfin dénoncée par une organisation qui a plutôt l'habitude de se fourvoyer dans la défense exclusive des “victimes” islamistes. Dénoncée pour ce qu'elle est : un crime massif contre les droits humains. M. H.