C'est dans une semaine que des négociateurs algériens se rendront à Bruxelles pour faire le point sur 5 années d'application de l'Accord d'association avec l'Union européenne. Les vastes ambitions d'une démarche qui visait à la création d'une dynamique de rapprochement et de partenariat tous azimuts entre l'Algérie et le grand voisin européen donne, aujourd'hui, l'impression de se diluer dans d'âpres négociations commerciales. L'Accord d'association est-il encore un projet d'avenir ? LE rendez-vous de juin 2010, qui était programmé de longue date, a été préparé au cours des derniers mois par des travaux d'experts, ce qui est normal. Nous nous sommes procurés quelques-uns des rapports établis à cette occasion. Il a également été précédé, ce qui n'était pas prévu, par les déclarations de nombreux responsables algériens affichant leur insatisfaction face aux résultats jugés décevants et asymétriques de 5 années d'application de cet accord international négocié et ratifié au pas de charge au début de la décennie. Si on en juge par les déclarations récentes du désormais ex-ministre du Commerce, M. Djaâboub ou de l'actuel ministre des Finances, M. Djoudi, on pourrait être tenté de croire que le torchon brûle entre Alger et Bruxelles. Emboîtant le pas aux ministres, beaucoup de commentateurs ont évoqué l'hypothèse d'une rupture ou au moins d'une “renégociation” de l'Accord signé en 2002. Les plus modérés et les plus prudents se contenteraient, pour leur part, d'une “révision” . En tout cas, le moins que l'on puisse dire est que le projet subit une véritable désaffection et qu'il est aujourd'hui loin de susciter l'enthousiasme des médias et de la population algérienne. Pour les analystes les plus au fait du dossier, les réactions récentes de l'Exécutif algérien sont à replacer dans le contexte des critiques formulées par la Commission européenne vis-à-vis de certaines dispositions de la LFC 2009. Elles apparaissent ainsi comme un contre-feu allumé par les autorités algériennes à la veille d'une échéance importante dans le processus de négociation et de mise en œuvre de l'Accord. Face à ces critiques, la partie algérienne annonce la couleur. Les Européens auraient été les seuls bénéficiaires grâce à l'augmentation de leurs exportations vers l'Algérie. Les sacrifices consentis par notre pays à travers la réduction des droits de douanes n'auraient, en outre, pas eu les contreparties attendues en termes d'investissements européens en Algérie. En dépit de ces formulations assez abruptes, les initiés sont convaincus qu'il n'y aura pas de clash entre Alger et la Commission de Bruxelles. Des messages ont été transmis discrètement par les autorités algériennes qui renouvellent l'assurance que l'Accord d'association reste pour Alger un “axe stratégique” de sa démarche de coopération. Même si les enjeux sont ainsi balisés, beaucoup de choses restent encore à négocier et à éclaircir dans les relations entre les deux parties, à la fois sur le plan commercial, sur le plan des investissements ou sur celui de la coopération en général. Le commerce d'abord Sur le plan commercial, l'ambition de l'Accord d'association est de parvenir à améliorer les conditions de vie des populations concernées grâce au développement des échanges, à l'amélioration de l'offre de produits et à la baisse de leurs prix obtenus par un démantèlement progressif des barrières tarifaires et la création en bout de course d'une zone de libre-échange en 2017. Dans le but de parvenir à des objectifs aussi louables, on a divisé les importations en 3 listes de produits. La première est composée de matières premières et de demi- produits destinés à être transformés par l'industrie pour laquelle un démantèlement tarifaire immédiat a été retenu. Une deuxième liste composée de produits industriels, essentiellement des biens d'équipement et des produits pharmaceutiques, fait l'objet d'un calendrier de réduction des droits de douane d'ici 2012. La troisième concerne les produits finis dont les droits devront disparaître d'ici 2017. À ces calendriers s'ajoute un quatrième agenda pour quelques produits industriels, pour les produits agricoles et pour les services. C'est pour ces derniers produits et les services qu'un rendez-vous a été fixé en 2010. Après 5 années d'application de l'Accord, les autorités algériennes ont fait leurs comptes et s'aperçoivent qu'à la suite du gonflement accéléré des importations au cours des dernières années (38 milliards de dollars en 2008 et 2009 contre 11 à 12 milliards au début de la décennie), la baisse des tarifs douaniers contenue dans l'Accord d'association coûte beaucoup plus cher que prévu au Trésor algérien; déjà près de 2 milliards de dollars de pertes de recettes douanières cumulées entre 2005 et 2009 et certainement plus de 3.5 milliards en 2017, selon M.Djoudi, au train où vont les choses. La position européenne est, de prime abord, très différente de celle de la partie algérienne. Les experts européens constatent d'abord que la baisse des tarifs douaniers a bien eu lieu. Ils chiffrent le taux d'imposition moyen des produits en provenance de l'UE à 4,7% en 2008 contre 7,1% pour les autres régions du monde. Leur principale conclusion concernant l'évolution des flux commerciaux a surpris leurs homologues algériens dont l'analyse s'est focalisée sur l'augmentation de 80 % de la valeur de nos importations entre 2005 et 2008. Pour les Européens, cette augmentation n'est en rien imputable à la baisse des tarifs douaniers et donc à l'application de l'Accord entrée en vigueur en 2005. Ils en veulent pour preuve la baisse sensible de la part de marché des produits originaires de l'UE qui est tombée au cours de la même période de près de 58% à un peu plus de 51%. Conclusion: le gonflement des importations algériennes est d'abord la conséquence de l'augmentation de nos revenus pétroliers et il a surtout profité aux produits d'origine chinoise dont la part de marché est passée de 2% à plus de 8% . Pas de décision spectaculaire En dépit de ces divergences importantes, on ne s'attend à aucune remise en cause fondamentale de la démarche définie dans ce domaine par l'Accord d'association. Le rendez-vous de la semaine prochaine devrait donner lieu à la renégociation de beaucoup d'aspects du dossier commercial, notamment en matière de calendrier pour les produits industriels ou de contingents d'importation pour les produits agricoles. Aucune décision très spectaculaire ne devrait cependant émerger d'une négociation dont les enjeux techniques ont peu de chance de retenir l'attention du grand public. Le dossier complexe des services devrait également être ouvert. Il est considéré comme très sensible par de nombreux spécialistes en raison, notamment, des implications qu'il pourrait avoir sur les négociations en cours pour l'adhésion de l'Algérie à l'OMC. L'investissement, le sujet qui fâche Sur le chapitre de l'investissement, la position algérienne a été exposée récemment à Bruxelles par M. Djoudi qui estimait devant un Forum réuni dans la capitale belge que “ les flux d'investissement européens sont en deçà des attentes de l'Algérie, en particulier ceux destinés à promouvoir la diversification de son économie et de ses exportations”. La négociation ne pourra pas éviter d'aborder la question du nouveau régime des investissements adopté par les autorités algériennes qui, selon les missions d'experts européens dépêchés à Alger au début de cette année, “entrave très gravement la mise en œuvre de l'Accord d'association”. Pour ces derniers, ces mesures “sont en contradiction avec les articles 32, 37, 39 et 54 de l'Accord d'association comme l'a fait savoir un mémorandum officiel adressé par la Commission européenne aux autorités algériennes. Elles introduisent, en outre, une incertitude dans les décisions d'investissement des entreprises européennes en Algérie en particulier dans des secteurs-clés pour le rééquilibrage de la balance commerciale.” Les mêmes rapports établis au début de l'année jugent que la situation dans ce domaine “n'est pas celle de dialogue et de coopération entre les parties algérienne et européenne. D'une part, la Commission européenne souligne l'instabilité juridique et le manque de clarté dans les nouvelles dispositions du gouvernement algérien. De son côté, la partie algérienne souligne que l'Algérie est souveraine et que l'Europe n'a pas respecté les engagements contenus dans l'Accord en montrant un manque d'enthousiasme pour l'investissement. Pourtant, l'Algérie et l'Europe étant solidaires au sein du bassin méditerranéen, seul un dialogue calme pour un développement équilibré permettra de surmonter ces obstacles”. Les experts européens recommandent en conclusion que “la situation du climat des affaires en Algérie soit discutée avec les opérateurs économiques des deux parties et que des solutions soient trouvées pour permettre aux investisseurs étrangers de se rassurer sur l'environnement des affaires en Algérie”. De bonnes nouvelles pour la coopération. L'évolution des programmes de coopération est sans doute la seule bonne nouvelle des dernières années. Jusqu'au début de la mise en œuvre de l'Accord d'association, l'Algérie accusait dans ce domaine un retard considérable par rapport à ses voisins. Des bilans sur les programmes MEDA réalisés en 2006 par la Cour des comptes européenne estimaient que l'Algérie n'avait consommé que moins de 30% des programmes engagés à son attention sur une période de 10 années et pour le montant fort modeste de 144 millions d'euros. Ce qui plaçait dans ce domaine notre pays loin derrière le Maroc avec 780 millions d'euros ; l'Egypte bénéficiant de 650 millions d'euros et la Tunisie de 568 millions d'euros. C'est à une forte accélération dans la définition et la mise en œuvre de ces programmes de coopération financés par l'UE qu'on a assisté, au cours des dernières années en Algérie. Les montants cumulés à la fin de 2009 frôlent désormais les 600 millions d'euros. En même temps, les thèmes de cette coopération se sont fortement diversifiés, ce qui les expose à des risques de dispersion. L'action qui a fait l'objet des bilans les plus complets concerne les programmes de mise à niveau des PME qui, en mobilisant plus de 100 millions d'euros en une dizaine d'années, a pu bénéficier à plusieurs centaines d'entreprises. Cette expérience est généralement considérée comme réussie dans la mesure où ses acquis ont été capitalisés par l'administration algérienne qui s'est approprié une partie de ses outils et de ses méthodes, les antennes régionales et les fichiers d'entreprises notamment, pour élargir cette démarche et élaborer ses propres programmes de mise à niveau. Dans la période la plus récente, le thème fort sensible de l'amélioration des performances de l'administration et de la qualité de la gouvernance économique a donné lieu à la définition de plusieurs programmes dont la mise en œuvre est en cours avec le ministère du Commerce et le ministère des Finances notamment. Au total, l'ambiance générale dans laquelle se déroule ce premier bilan de l'Accord d'association risque fort d'être très morose. L'éventualité d'un clash entre les deux parties a peu de chances de se produire mais on n'évitera sans doute pas le scénario d'une “application molle” de l'Accord en raison, principalement, des hésitations qui continuent de planer sur la stratégie de développement algérienne et qui ne permettent pas à notre pays d'exploiter efficacement les apports de l'investissement étranger voire de la coopération institutionnelle en le maintenant dans une attitude presque uniquement défensive sur le plan commercial.