Le représentant du ministère public a requis, hier, la perpétuité à l'encontre de l'ex-P-DG de la Cnan, Ali Koudil, et cinq de ses collaborateurs, Amour Mohand Amokrane, directeur technique et de l'armement, Debah Mustapha, directeur de l'armement, Ikhadalen Kamel, directeur technique, et Zaoui Salah, inspecteur technique, et 2 ans de prison ferme à l'encontre de l'accusé Sidi Driss. Un lourd réquisitoire qui s'est basé sur le code maritime, considérant les accusés comme des armateurs. Le verdict est attendu pour aujourd'hui. Le procureur Farek a tenu à préciser à l'assistance dans sa plaidoirie qu'il n'est pas “le gherak” mais le représentant de la justice. “Je défends les victimes dans cette tragédie mais aussi Ali Koudil et ses collaborateurs”. Il a rappelé les circonstances de la tragédie ainsi que l'état des navires. Il a exprimé, dans son réquisitoire, son regret de constater que dans cette affaire, il n'y a pas eu de prise en charge psychologique des rescapés qui souffrent toujours de traumatisme. Il a relu les témoignages des rescapés avec des photos montrant les cadavres des victimes. “Il y a eu des catastrophes telles que les inondations de Bab El-Oued et le séisme de Boumerdès mais dans cette affaire, ce n'est pas une question de fatalité, il y a eu mort d'homme et ces accusés ont une responsabilité”. “Selon le code maritime, la Cnan ne parle pas, elle est représentée par le P-DG qui est considéré comme armateur”, avant de s'interroger : “Il y avait des navires en mer le jour du drame mais ils n'ont pas “péri” parce qu'ils étaient bien équipés au contraire de “Béchar””. Le représentant du ministère public a également évoqué le statut des deux officiers poursuivis pour non-assistance à personne en danger et qui ont bénéficié de l'arrêt des poursuites parce qu'ils n'ont pas répondu aux convocations. “Aujourd'hui, ils ne sont pas là. Nous avons introduit une demande pour l'ouverture d'une enquête complémentaire ainsi que la défense des accusés, mais notre demande a été rejetée par la chambre d'accusation et nous apprenons au procès que la Cour suprême a introduit une correspondance à la Cnan mais sans suite”. Me Béchar, le vendredi et Bouteflika La matinée d'hier a été marquée par la plaidoirie des trois avocats de la partie civile, dont Me Béchar Yasmina qui a estimé que les victimes pouvaient être sauvées si les secours étaient arrivés à temps. Elle a affirmé, en outre, que le code maritime interdit formellement l'utilisation de navires si ces derniers n'ont pas leur certificat de navigation ou sont dépourvus de leur équipement. L'avocate a insisté sur l'état catastrophique du bateau “Béchar” le qualifiant de “serkadji et un cercueil flottant”. Elle a beaucoup axé sa plaidoirie sur la situation sociale des familles des victimes dont plusieurs étaient leur seul soutien. Elle a beaucoup insisté sur le déroulement du procès le vendredi “un jour très significatif”, a-t-elle estimé, allant dans le sens que c'est un jour béni faisant tout un serment religieux (….). À peine a-t-elle cité le nom du président de la République pour argumenter sa plaidoirie que le magistrat l'interrompt : “On doit se baser sur le contenu du dossier pas plus, évitez de dévier !” Les deux autres avocats de la partie civile sont revenus sur l'origine du drame. “Cela est dû aux insuffisances et à l'état du navire”. La violente tempête a été à l'origine du drame Le deuxième jour du procès de la Cnan, qui s'est achevé vers 20h, et a été marqué par l'audition de tous les accusés qui ont tous affirmé que l'origine du naufrage est due à la violence de la tempête et la réaction tardive de la capitainerie du navire “Béchar”. Chose confirmée par le témoignage d'un officier au port d'Alger qui a révélé que l'alerte a été donnée vers 16h30. Deux rescapés ont également abondé dans le même sens. Le deuxième accusé en l'occurrence, Ammour Mohand Ouramdane, le directeur de l'équipement et du service technique, a confirmé que l'ancre du mouillage n'a pas été essayée depuis près de six mois, expliquant que la pompe n°1 était en parfait état et que les inspections visent généralement les navires en exploitation. Pour lui, la cause du drame est bel et bien le mauvais temps et la réaction tardive de l'équipage du navire. “Le responsable de la capitainerie a reçu le BMS qu'il a transmis au navire à 10h du matin, déjà à 12h les vagues étaient de 4 mètres de hauteur alors qu'à 13h elles dépassaient les 10 m en plus d'un vent fort, le “Béchar” commençait à dériver vers 17h et les deux remorques n'arrivaient pas à sortir de la base”, a-t-il révélé. Pour justifier la violence de la tempête, Ammour est revenu sur la vidéo sous-marine qui montrait le navire coupé en 4. “Il y avait une force gigantesque, pour moi le commandant de bord a été induit en erreur ou était très confiant en son navire et en ses capacités”. Le directeur du service d'équipement et des affaires techniques, Kamel Akhdalen, a été pour sa part clair. “Moi je n'ai rien à voir avec le navire “Béchar” ni avec cette tragédie d'autant que ma mission était les boulons et les pièces détachées et voilà que je me trouve en tôle depuis 6 ans”. Il expliqua qu'il a reçu une correspondance pour procurer une pièce pour réparer une panne “et pas une pièce de sécurité”, précisa-t-il. “J'ai agi sur instruction de la commission de vente du navire pour évacuer la pièce en stock et en réserve”. Interrogé par le représentant du ministère public sur l'expiration du certificat de navigation du navire “Béchar”, il répondra que le papier était périmé et pour qu'il soit renouvelé, le bateau doit être en mer alors que ce n'était pas le cas de “Béchar”. “Le naufrage n'est pas lié à l'état du navire”, a-t-il insisté en réponse à la question du magistrat. “C'est la forte tempête et dans cette situation, c'est le commandant du navire qui doit choisir le point de mouillage, le navire était mal stationné et accosté dans une zone dangereuse”. Des cadres qui ont réduit les charges à l'étranger se retrouvent en tôle Me Mokrane Aït Larbi a tenu à interroger quelques accusés sur leurs diplômes et formation. Akhdalen est un ingénieur en mécanique muni d'un diplôme international. “On a réduit les charges à l'étranger de 50% et j'ai reçu des félicitations, j'ai préféré rester dans mon pays et travailler dans une société nationale malgré les offres reçues”, a déclaré Akhdalen. L'inspecteur technique des deux navires, le “Béchar” et le “Bel-Abbès”, Saleh Zaoui, a révélé de son côté que la dernière maintenance du navire “Béchar” date de 1998. Un appel d'offres international a été lancé pour la maintenance du “Béchar”. “Des Egyptiens et des Indiens ont répondu à l'appel d'autant qu'on a reçu une mise en demeure pour évacuer le navire du quai du port et je confirme que les trois générateurs fonctionnaient tous”. Interrogé, lui aussi, sur l'origine du drame, il a répondu : “J'étais membre de la cellule de crise et c'est le Centre national des opérations de sauvetage qui était chargé du sauvetage”. Des sous-officiers ont refusé de travailler sur le “Béchar” : ils voulaient être payés en devises” Le directeur de l'équipement des navires, Mustapha Debah, a insisté sur le fait qu'il n'est pas responsable dans cette affaire. “J'occupais le poste (par intérim de 9 août à 21 octobre 2004) de directeur des navires internationaux le jour de la tragédie. Il a relevé quelques insuffisances dont l'absence d'un sous-officier dans l'équipage du navire”. “J'ai pris une décision urgente en convoquant 14 sous-officiers qui ont refusé tous de travailler sur ce navire”. “La cause, ils ne touchent pas leur solde en devises et ils ont profité d'une circulaire ministérielle pour prendre leur congé avant la fin de l'année. J'ai fait mon rapport que j'ai envoyé à la DRH mais j'ai découvert plus tard qu'ils étaient manipulés par le syndicat Snomar pour casser l'entreprise”, a-t-il révélé. Un sous-officier, Taleb Mohamed, un marin a quitté son poste, lui aussi, sans autorisation. “J'ai informé par écrit le commandant de bord mais sans suite”, a encore ajouté M. Debah, avant de préciser qu'une fois l'enquête déclenchée “le défunt Maghlaoui ministre alors des Transports nous a donné des garanties (….) sans le moindre détail”. Sidi Idriss Mohamed, ingénieur technique chargé du suivi des navires, s'est présenté aussi à la barre. Il a affirmé que le “Batna” a été déjà touché au niveau de la tôle dans les inondations de Bab El-Oued en 2001 et il fallait changer la tôle qui pèse 700 tonnes. Sidi Idriss a soulevé le problème financier. “On a fait un appel d'offres en 2003 pour lancer des réparations et c'est difficile d'envoyer en chantier un navire”, a-t-il souligné, avant de soulever les mesures bureaucratiques au niveau des douanes. Il donne comme exemple le navire “Aïn Ousséra” qui a été vendu alors que sa pièce détachée importée est toujours au niveau des douanes. “Il nous faut attendre 2 mois pour faire sortir une pièce de 300 kilos importée du Japon par Marseille et il fallait des interventions à haut niveau pour cela”, a-t-il conclut. Les rescapés témoignent… “ je savais que personne ne viendrait nous sauver ” Allouche Azzedine, marin depuis 2004, s'est présenté à la barre. Visiblement traumatisé et toujours sous le choc, ce jeune marin a passé 14h en mer. Il travaillait comme nettoyeur et a été recruté 3 mois avant le naufrage. “Je ne me souviens pas bien, il était 11h30 ou 12h, il faisait sombre et la vague était de 10 mètres de haut. Une fois l'alerte donnée, on est monté tous à la passerelle et je portais un gilet de sauvetage, on a attendu jusqu'à 5h du matin j'ai vu un marin plongé mais qui a été repêché par les gardes-côtes, moi je me suis jeté juste après la dernière vague qui nous a absorbés. Vers 6h du matin, on m'a repêché au niveau des Sablettes”. Le deuxième rescapé, Boubeker, un marin serveur, paraissait plus à l'aise à la barre. “Le commandant assurait jusqu'au dernier moment qu'un hélicoptère allait venir nous secourir. À chaque vague, notre nombre diminuait et je voyais mes collègues disparaître parmi eux ammi Haddoufi”, a-t-il dit Revenant sur les faits, il relate son vécu : “Le jour du drame, je me suis levé à 14h il y avait un mauvais temps et le navire bougeait très fort mais je suis resté endormi dans ma chambre. c'était Ramadhan”. Le juge commenta : “Vive la jeunesse”. Il ajoute en souriant : “Un navire bleu venait vers nous vers 14h je l'ai salué, j'ai entendu la sonnette d'alarme à 16h et les marins travaillaient à l'avant, j'ai vu le commandant parlait à ce moment-là j'ai sauté parce que je savais qu'avec le mauvais temps personne ne viendrait nous sauver”, a-t-il encore ajouté. L'officier de permanence Un autre éclairage dans ce procès sera apporté par le témoignage de Lamani Youcef, l'officier du port qui était de permanence à la capitainerie. Il affirma que le navire “Ben Ghazi” était dans une position plus proche de la jetée que le “Béchar”. Il relate également que le jour du drame vers 17h, le défunt commandant lui avait dit à travers le VHS : “Je n'ai pas pu virer l'ancre. J'essaye de tenir avec la machine. Envoie-nous les remorqueurs”.” L'officier ajoutera que “nous avons envoyé une remorque mais un accident a eu lieu et le chef mécanicien perdit ses jambes. Aucun secours maritime n'est possible par une tempête pareille et l'opération de sauvetage est très délicate, et seul l'hélico pouvait les sauver”.