Des femmes qui veulent parler et réfléchir à leur sort d'objets du machisme national, sont interdites de réunion. Des chrétiens qui pratiquent leur foi sont jugés. Les premières n'ont pas été autorisées à occuper la salle louée pour leur rassemblement ; les seconds n'avaient pas d'autorisation pour ouvrir le local qu'ils ont construit. Sans toit pour abriter les complaintes des unes ou les prières des autres, ni les unes ni les autres n'existent. Si le courage et l'incivisme indispensables pour occuper la rue ou “couper” la route font défaut, la cause est entendue et la messe dite : les salles et les locaux restent vides et, dehors, l'ordre règne. L'état d'urgence, devenu sans objet sécuritaire depuis que la réconciliation nationale fait régner la “paix revenue”, s'est converti dans la répression de manifestations à caractère politique, social ou civil. Quand les syndicats autonomes ont eu l'irritante idée de se doter d'un lieu de rendez-vous, de rencontre et de discussion, la réaction a été immédiate : le foyer a été fermé sans ménagement. Les syndicats, dont on connaît pourtant la légitimité et le sens de la mesure, ont été jetés dehors. Plutôt manifester que de se réunir ! Et ne croyons surtout pas qu'il y a quelque ironie dans la formule : du point de vue du régime, le débat public est plus subversif que la révolte physique. Par nature, le système politique sait mieux intégrer la violence émeutière que le débat contestataire. Il préfère avoir à matraquer une marche de travailleurs qu'à souffrir des questions posées par un monde syndical légalisé et organisé. Mieux vaut réprimer le désordre que d'avoir à gérer l'expression d'un droit à la revendication ordonnée. Le message étant parvenu jusqu'aux confins de la société : les mécontents ne se réunissent plus ; ils sortent. Pour envahir la rue ou pour “couper” la route. Ni débat, ni leadership ; la parole est au plus effréné. Personne ne représente l'expression de leur mécontentement extériorisé dans un tapage aussi anarchique que brutal. Les dégâts qui s'ensuivent racontent, à leur tour, le contenu du dialogue état-société dans un contexte où le pouvoir préfère gérer la confrontation directe avec la base sociale et politique plutôt que d'organiser la représentation et la formulation organisée des besoins de cette base. Quitte à se priver de toute voie de communication, il refuse toute légitimité représentative à tout ce qui n'est pas… le pouvoir. La rencontre d'Algériens pour discuter ou débattre de quoi que ce soit constitue la menace la plus redoutée. Faute d'autorisation de se réunir, les plus futés se donnent la permission de manifester. Le résultat en est que la revendication organisée finit par s'effacer devant l'expression brute et brutale du mécontentement. Parti après parti, syndicat après syndicat, association après association, la société civile s'éteint. Village après village, quartier après quartier, le discours de la violence, légitimé par son efficacité revendicative, remplace la pratique civique de la revendication. M. H. [email protected]