Dans le cadre de la deuxième édition du Festival international de l'art contemporain d'Alger, se tient, depuis mercredi dernier et jusqu'au 31 janvier 2011, au Musée d'art moderne et contemporain (Mama), une exposition-hommage à M'hamed Issiakhem, à l'occasion du vingt-cinquième anniversaire de sa disparition, un certain 1er décembre 1985. Cette exposition dont le commissaire est Mohamed Djehiche (également commissaire du Festival international de l'art contemporain d'Alger), rassemble 114 tableaux de l'artiste, appartenant en grande partie à des collectionneurs privés ou à des musées, notamment le musée des Beaux-arts, le musée Ahmed-Zabana d'Oran, le musée Cirta de Constantine, le musée Nasreddine-Dinet de Boussaâda, et le Musée d'art moderne et contemporain (Mama). Les toiles de M'hamed Issiakhem — un des fondateurs de la peinture moderne en Algérie —, exposées au Mama, représentent un large éventail de son œuvre douloureuse, mais éminemment humaine. C'est à partir de l'atrium que commence cette importante exposition, avec quelques repères biographiques à propos de ce peintre au parcours exceptionnel, et qui a toujours essayé, par ses prises de position, de vulgariser et de rendre plus populaire, l'art de la peinture. “Je me suis plu à m'isoler et dans mon isolement, à haïr ce qui blessait le juste et le vrai. Si je vaux quelque chose aujourd'hui c'est que je suis seul et je hais”, lit-on sur le panneau qui reprend quelques repères biographiques et quelques citations d'Issiakhem. Mais son auteur laisse planer le doute puisqu'il se demande à la fin si c'est réellement M'hamed Issiakhem qui aurait dit ou écrit cette phrase. à l'atrium, le visiteur est happé par le chaos dans lequel s'était laissé engouffrer M'hamed Issiakhem, pour dévoiler son âme et faire découvrir, avec la pudeur de l'artiste engagé, ses profondeurs. La vision ne change guère en remontant au rez-de-chaussée puis au premier étage. à travers les œuvres exposées, notamment La Veuve (1970), à la recherche d'une liberté (1977), Autoportrait (1949), La Mendiante, Les Martyrs (1965), Maternité (1972), Les Aveugles (1982), Passé, présent, futur (1977), ou encore Autoportrait (1976) qui est son œuvre la plus connue. Le visiteur fait connaissance avec l'artiste ; il découvre ses tourments, perce ses secrets, rassemble les différentes parties du puzzle, reconstitue les nombreuses pièces du puzzle. Par ailleurs, lors d'une table ronde organisée, jeudi matin au Mama, plusieurs artistes et chercheurs se sont penchés sur la vie et l'œuvre de M'hamed Issiakhem. Une vie qui a commencé le 17 juin 1928, au douar Ath Djennad, près d'Azeffoun, en Grande-Kabylie ; et une œuvre qui s'est étalée sur environ trois décennies. C'est en 1943, alors qu'il n'a que quinze ans, que la vie de M'hamed Issiakhem se verra bouleversée à tout jamais. Il joue avec une grenade qui explose. Il perd un bras, ses deux sœurs et son neveu. Après sa longue hospitalisation, il retourne chez lui, mais sa mère refuse son fils amputé d'un bras et le chasse de la maison. L'errance commence alors pour M'hamed Issiakhem qui rejoint la société des Beaux-arts, puis l'école des Beaux-arts, pour ensuite s'inscrire à l'école des Beaux-arts de Paris. Il décroche également une bourse à la casa Velázquez de Madrid. Il se lie d'amitié avec Kateb Yacine, son “Jumeau pathétique” (titre d'un ouvrage signé Benamar Mediène en 2003), et travaille en tant que dessinateur de presse (entre autres à Alger Républicain), réalise des timbres-poste, des maquettes de billets de banque, et signe certains décors dans les pièces théâtrales de Kateb Yacine (Mohamed prend ta valise et Palestine trahie) et des films. En outre, l'âme de M'hamed Issiakhem était dévoilée à chacun de ses tableaux, et ses tourments étaient perceptibles à chaque coup de pinceau. Un génie résumé par Kateb Yacine, qui a écrit à propos de son ami : “Il habite un enfer où il faut faire feu de tout bois, et c'est lui-même qu'on voit brûler, d'un bout à l'autre de son oeuvre. à cette extrême et haute tension, l'art est une catastrophe, un naufrage de l'homme, une vision de l'invisible et un signe arraché à la partie des morts. Mais l'enfer où il vit est la plus belle des fonderies, car c'est là qu'il travaille, avec la rage des Fondateurs.”