1re partie Chafika, qui dormait à poings fermés, sursaute lorsque le téléphone sonne. Le cœur battant très fort, elle se redresse péniblement. Le plâtre qu'elle porte à la jambe droite, fracturée, l'empêche d'aller répondre rapidement. Elle doit se baisser pour prendre ses béquilles. - Encore deux ou trois jours et je me débarrasserai de ce fichu plâtre qui me rend la vie impossible, dit-elle. Mon Dieu, qu'ai-je donc fait de mal pour avoir été punie de la sorte ? La sexagénaire trouvait que c'est une punition que de s'en être sortie avec une fracture seulement lors d'un accident de la circulation. Elle aurait pu y laisser sa vie. Elle semblait ne pas en avoir conscience. À l'aide de ses béquilles, elle se rend au salon et s'installe dans son fauteuil, en face de la fenêtre, avant de décrocher. Le téléphone sonnait alors pour la sixième fois. Avant qu'elle ne put dire “allô”, on avait raccroché à l'autre bout de la ligne. Chafika pose le combiné et s'attend à ce que le téléphone sonne de nouveau, mais ce n'est pas le cas. Personne ne rappelle, et cela la met en colère. La personne s'était peut-être trompée et ne s'en était aperçue que plus tard. Mais cette erreur avait gâché sa sieste, et tous ceux qui la connaissent savent que c'est un moment sacré pour elle. “Sois maudit ! dit-elle entre les dents. Qui que tu sois, sois maudit !” La vieille femme ignore qu'il s'agit de son fils Djamel. Le jeune homme était parti en vacances, chez un copain à Oran, depuis un mois déjà. Chafika et son mari, el-hadj Tewfik, l'y avaient emmené, l'embarrassant sans savoir pourquoi. Mais une fois arrivés à destination, ils auront la réponse. Dans le bungalow, il n'y a pas que son ami qui l'attend. Il y a deux filles. Elles étaient en maillot de bain. Ce n'était qu'en les voyant qu'ils ont compris pourquoi Djamel tenait tant à partir seul. Il les connaissait assez pour savoir qu'ils étaient trop vieux pour comprendre qu'il puisse avoir une amie avec qui il veut passer des vacances, sans avoir envie de partager sa vie avec. Il savait aussi que si, par chance ou par malheur, il s'attachait à son amie, maintenant que ses parents avaient tiré leur conclusion, jamais ils ne l'accepteront dans la famille. En rentrant d'Oran, Chafika avait beau être choquée, el-hadj déversa toute sa colère. Elle n'a pas pu se retenir et prit la défense de son fils. Ce qui lui provoqua un malaise cardiaque et un accident où ils auraient pu y laisser leur vie. El-hadj s'en était sorti avec quelques égratignures et elle avec une fracture au pied. Même si elle n'avait que le pied de fracturé, aux urgences, on lui a posé un plâtre jusqu'à mi-cuisse. L'orthopédiste avait été très ferme : “El-hadja, vous porterez ce plâtre pendant un mois !” Chafika regrettait d'avoir insisté pour partir sur Oran. C'était de sa faute si cet accident était survenu. Elle n'aurait pas dû énerver son mari. Elle le savait sensible et intouchable sur certains points. Non, elle n'aurait pas dû. Djamel était assez grand pour se défendre. Djamel a vingt-cinq ans, et en terminant ses études de médecine, sans échouer une seule année, il leur avait prouvé qu'il était intelligent et qu'il n'aimait pas perdre son temps. Quant à ses vacances, Chafika ignorait s'il était sérieux avec cette fille ou si c'était juste pour passer des moments agréables. Ces deux interrogations l'inquiétaient. Aucune des deux ne la réjouissait. - Dès son retour, je lui demanderai ce qui compte pour lui, se dit-elle, avant de se rendre compte qu'elle avait pris la mauvaise habitude de se parler à voix haute. El-hadj va penser que je suis folle ! La sonnerie du téléphone interrompit son monologue. Chafika prend tout son temps pour décrocher, tentant de deviner qui pouvait avoir l'audace de la déranger dans sa sieste, sans redouter sa colère. Son fils peut-être ? Ou son amie ? (À suivre) A. K.