Excès de liquidités dans les banques et fuite des capitaux privés sont deux aspects complémentaires de la crise de l'investissement productif qui caractérise l'économie algérienne au cours des dernières années. C'est le gouverneur de la Banque d'Algérie, M. Mohamed Laksaci, qui l'expliquait à la fin de l'été dernier à Dakar, à l'occasion des réunions annuelles de l'Association des banques centrales africaines (ABCA) : “L'évolution et la stabilité du système bancaire algérien au cours de la seconde moitié des années 2000 a bénéficié de politiques macrofinancières prudentes, en contexte d'excès d'épargne sur l'investissement.” Devant ses pairs africains, M. Laksaci ajoutait : “En Algérie, le système bancaire est en excès structurel de liquidités depuis 2002, pendant que les banques restent le principal pourvoyeur de financement de l'économie dans un contexte de marché financier peu développé.” Au cours de la période la plus récente, cet excès de liquidité est resté persistant, malgré la contraction enregistrée en 2009 sous l'effet de la diminution des recettes pétrolières. La liquidité des banques, qui était estimée à 2 800 milliards de dinars (28 milliards d'euros) à fin 2008, s'est contractée d'environ 10% en 2009 avant d'augmenter de nouveau en 2010. Cette surliquidité est alimentée, d'une part, par l'importance des dépôts du secteur des hydrocarbures auprès des banques. Elle est, d'autre part, le résultat de l'augmentation de la collecte de l'épargne des particuliers qui se développe à un taux moyen proche de 20% au cours des dernières années, stimulée à la fois par les injections de revenus des plans de relance publics et une bancarisation de l'économie en progrès rapide. Les crédits à l'économie ne parviennent pas à tenir ce rythme de progression. Les chiffres communiqués début novembre par M. Laksaci font état d'une augmentation limitée à 9,7% au 1er semestre 2010. Autre tendance remarquable, la part des entreprises publiques augmente fortement dans la destination de ces crédits pour atteindre désormais plus de 57%. Des chiffres qui sont la conséquence logique des options récentes du gouvernement Ouyahia. La nouvelle vague d'assainissement financier des entreprises publiques est à l'origine de l'augmentation sensible de la part de ces dernières depuis le début de l'année 2010, tandis que l'interdiction du crédit à la consommation intervenue en septembre 2009 explique en partie la faiblesse du rythme global de croissance des crédits. La Banque d'Algérie éponge 11 milliards d'euros En 2010, comme au cours des années précédentes, l'excès de l'offre de fonds prêtables sur le marché monétaire va donc encore rester important. La Banque d'Algérie va continuer à absorber l'excès de liquidités par le biais de reprises de liquidités (1 100 milliards de dinars tout au long de l'année 2009) et les banques vont continuer à placer, à la Banque centrale, le complément de liquidités dépassant le niveau des réserves obligatoires réglementaires. La Banque d'Algérie exerce sa politique de résorption de l'excès de liquidités des banques par la technique de reprises de liquidités (à 7 jours et à 3 mois). Parallèlement, et à l'instar des autres banques centrales, les taux d'intervention de la Banque d'Algérie ont été révisés à la baisse au début de mars 2009, soit 1,25%, contre 2% pour les reprises de liquidités à trois mois, 0,75% contre 1,25% pour les reprises à 7 jours. Mi-mars 2009, le taux d'intérêt pour les réserves obligatoires a été fixé à 0,50%, alors qu'il était auparavant de 0,75%. Le taux de constitution des réserves obligatoires restant à 8% depuis janvier 2008. Une “aversion” des banques pour le crédit aux PME Pour beaucoup d'observateurs, la persistance de cette situation tout au long de la décennie écoulée est la traduction d'une véritable crise de l'investissement productif. La préférence de la plupart des agents économiques pour le commerce d'importation aussi bien qu'une priorité confirmée des autorités algériennes en faveur des entreprises publiques contribuent à marginaliser les entreprises productives privées qui constituent potentiellement le secteur le plus dynamique de l'économie algérienne. Cette situation est commentée de façon désabusée par un banquier privé : “Le faible nombre de projets bancables dans le secteur privé auquel s'est ajoutée la suspension du crédit à la consommation entraînent un excès de liquidités au sein des banques. Elles n'ont, ces dernières années, pas d'autre alternative que de recourir aux instruments de reprise de liquidités de la Banque d'Algérie qui sont rémunérés à des taux inférieurs à 2% alors qu'elles ne demanderaient pas mieux que de prêter à des opérateurs économiques privés à des taux qui, sur le marché, varient entre 7 et 8%.” Une situation confirmée à demi-mots par la Banque d'Algérie qui constate dans son dernier rapport de conjoncture : “Le développement des crédits aux PME reste en deçà de l'objectif recherché à travers les différentes mesures prises par les pouvoirs publics pour faciliter leur accès aux crédits (création des organismes de garanties aux fonds propres conséquents, bonification des taux d'intérêt, etc.).” En guise d'explication de ces difficultés d'accès au crédit pour les entreprises privées, la Banque centrale relève que “le niveau élevé des risques de crédit sur certains groupes privés et les créances non performantes corrélatives contribuent, dans une certaine mesure, à l'aversion des banques en la matière, pendant que leur faiblesse sur le plan de la gestion des risques de crédit persiste”. Le boom du Crédit immobilier En attendant le développement du chantier de longue haleine du crédit aux PME, l'action des pouvoirs publics algériens en vue de résorber les surliquidités du secteur bancaire a pris depuis le début de l'année en cours deux formes inédites et spectaculaires. La première a été l'adoption, dans le cadre de la loi de finances 2010, d'un vaste dispositif de bonification des taux d'intérêt sur les crédits immobiliers. Ces derniers sont désormais fixés à 1% pour la plupart des épargnants (le niveau d'inflation est estimé à près de 6%). Le dispositif, après un démarrage laborieux au cours du 1er semestre, est opérationnel depuis le début de l'été, et les premiers bilans indiquent un vif succès de cette opération. Les investisseurs étrangers à la rescousse La deuxième mesure concerne les investisseurs étrangers qui sont fermement invités désormais à recourir aux banques algériennes pour le financement de leurs projets dans le but de contribuer à la transformation de l'épargne locale en investissement. Cette nouvelle orientation, jugée paradoxale par beaucoup de professionnels et d'opérateurs, est en voie de connaître une de ses premières applications dans le cas d'un projet réalisé par le promoteur EIIC dont le montant est estimé à plusieurs milliards de dollars. Après avoir obtenu voici quelques semaines, et au bout de plus de 5 ans de négociation avec les pouvoirs publics algériens, le visa du Conseil national de l'investissement, l'investisseur émirati EIIC en charge de la réalisation d'un parc immobilier et de loisirs à l'entrée d'Alger a approché plusieurs banques algériennes en vue d'obtenir un crédit de 85 milliards de dinars (850 millions d'euros). Ce crédit dont la formalisation ne devrait pas soulever de problèmes majeurs sera pris en charge par un consortium de banques publiques et privées dont la liste n'est pas encore connue. Une première expérience qui pourrait être suivie par beaucoup d'autres.