Les économistes se sont déjà posés la question de savoir si, pour un pays donné, l'exportation de ses seules ressources naturelles - dans notre cas celles des hydrocarbures-et l'importation massive, notamment de produits agricoles et alimentaires, ne renvoient pas à un même blocage structurel. C'est dans le cadre général de cette problématique qu'a émergé le concept du “Dutch disease” traduit en français par “syndrome hollandais”. La première référence d'analyse avait été effectivement la Hollande des années 1960, dont l'économie était caractérisée par une régression quasi généralisée de la plupart de ses branches économiques, hormis son secteur gazier massivement exportateur. L'explication apportée par certains économistes était simple : la surévaluation de la monnaie locale résultant des excédents monétaires en devises obtenus par l'exportation avait renchéri les coûts des produits traditionnellement exportés alors que ceux des produits importés diminuaient. On s'est mis alors à acheter au reste du mode la plupart des biens qu'on pouvait produire chez soi. Est-on dans la même situation en Algérie car on y entend souvent parler de la “malédiction des hydrocarbures” en pointant du doigt le manque de diversification de l'économie et surtout la faiblesse persistante de son agriculture ? Evacuons d'abord le premier élément explicatif donné plus haut. En effet, hormis la période post indépendance et celle du début de la décennie 1970 pendant lesquelles le taux de change du dinar avait été maintenu artificiellement élevé, ce sont surtout les dévaluations successives importantes qui ont caractérisé notre monnaie pendant la décennie 1990 sur injonction du FMI et de la Banque mondiale. Le rétablissement de nos équilibres financiers extérieurs et la disponibilité de réserves de changes significatives dans cette première décennie 2000 qui vient de s'achever ne se sont pas traduits par une réévaluation du dinar en dépit des pressions exercées par certains milieux,essentiellement ceux proches du négoce. J'ai pu trouver une explication plus en rapport avec la situation algérienne dans un article de W. Max Corden et J. Peter Neary intitulé “Booming sector and De- industrialisation in a small open economy” publié dans The Economic Journal n° 368 de décembre 1982. Ces derniers, qui ne prennent pas en compte la question du taux de change, expliquent la situation par deux facteurs : le déplacement de la main-d'œuvre vers le secteur exportateur plus rémunérateur et la hausse des revenus engendrant une hausse des prix des facteurs pour les autres secteurs moins compétitifs. On peut retrouver ces deux caractéristiques au cours de deux périodes de l'économie algérienne. Rappelons-nous en effet l'exode rural des années 1970 au profit notamment des nouveaux bassins d'emploi générés par l'industrialisation à Arzew, Skikda, Annaba. Beaucoup de “travailleurs de la terre” préféraient par exemple un poste de gardien ou de chauffeur dans une usine car mieux rémunéré et surtout sans aléa. La deuxième caractéristique est plus récente, elle date de la décennie 1990 au cours de laquelle il avait été procédé à l'ouverture brutale et tous azimuts du marché et à la libération des prix. Résultat de l'opération : renchérissement brutal des coûts des facteurs de production agricole tels que les tracteurs, les engrais et les semences sans omettre les services avec la suppression du réseau d'appui, celui des CAPCS. La mise en place au cours de la décennie 1970 d'une industrie des engrais et celle d'une industrie mécanique agricole devenait de fait sans objet car désormais sans marché. Mais à présent la seule bonne question est celle de savoir si des tentatives ont été pour corriger la trajectoire et quel bilan peut-on en faire ? Voyons quelques pistes préconisées par certains auteurs. L'économiste français J. P. Angelier, parlant des dépenses publiques d'éducation, de recherche et d'infrastructures, disait en 2004 que “de telles dépenses doivent contribuer à améliorer la compétitivité de l'économie nationale, contrebalançant de la sorte le premier effet négatif du syndrome hollandais”. La mise en œuvre de ce premier segment d'une politique de neutralisation des excédents monétaires s'est traduite en Algérie par la réalisation de plans quinquennaux orientés vers les infrastructures (2005-2009) puis vers l'achèvement de ces dernières et le développement du capital humain(2010-2014). Cette politique avait été complétée par la mise en place d'un Fonds de régulation des recettes (FRR) pour soustraire à la consommation une partie des recettes de la fiscalité pétrolière. Peut-on affirmer alors que des résultats tangibles et durables ont été obtenus dans le développement sectoriel comme celui de l'agriculture qui a bénéficié par ailleurs des ressources publiques apportées par le Plan national de développement de l'agriculture (PNDA). Résultats tangibles, oui lorsque l'on observe que la récolte de céréales a été de 61,2 millions de quintaux en 2009 soit trois fois celle de 2008 et que celle de 2010 a été de 45,6 millions de quintaux. Résultats tangibles aussi lorsque l'on constate que l'Algérie a exporté de l'orge pour la première fois depuis 43 ans. Mais on ne peut affirmer, pour le moment, que ces résultats seront durables. Un de nos meilleurs économistes de l'agriculture, Hamid Aït Amara, qui nous a quittés en 2010 et auquel je rends hommage, avait introduit dans ces derniers écrits la notion de champ daté pour notre sécurité alimentaire.Il l'avait relié à l'extinction de la rente des hydrocarbures, estimée entre 2030 et 2040. Avait-il été trop pessimiste ? En tout cas, pour conclure, c'est la problématique qui sera traitée par le séminaire portant sur la sécurité alimentaire en Algérie organisé par le Centre national d'études et d'analyses pour la population et le développement CENEAP) les 12 et 13 février 2011. Affaire à suivre. De très près.