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Un vent d'émeutes souffle sur l'Algérie
Cherté de la vie, chômage et hogra
Publié dans Liberté le 08 - 01 - 2011

Un vent d'émeutes souffle sur l'Algérie depuis mardi soir, faisant plonger le pays dans une panique telle que beaucoup n'hésitent pas à comparer cet embrasement au soulèvement d'Octobre 88.
Dans les faits, et selon des sources proches du ministère de l'Intérieur, la constestation a gagné 24 wilayas, soit la moitié du pays. L'on dénombre 180 points chauds, notamment à Alger, M'sila, Bordj Bou-Arréridj, Bouira, Blida, Tizi Ouzou, Boumerdès, Tipasa, Béjaïa et Oran.
Pour l'instant, l'on ne déplore, fort heureusement, aucune perte humaine, même si plus d'une centaine de policiers a été blessée. Des instructions fermes ont été données aux forces antiémeutes de ne pas faire usage de leurs armes et de recourir au gaz lacrymogène, en cas de nécessité. Une centaine d'émeutiers a été arrêtée à travers le pays, mais rien n'indique que les émeutes vont s'arrêter de sitôt.
Les jeunes, dont la moyenne d'âge ne dépasse pas les 25 ans, préfèrent, en général, opérer la nuit, pour échapper aux “yeux” des caméras de surveillance installées un peu partout, notamment à Alger. D'ailleurs, de nombreuses caméras ont été la cible des émeutiers.
Les jeunes ont pris pour cibles principales les commissariats de police, les institutions (APC, daïras, postes, opérateurs de téléphonie, banques) et les commerces, notamment ceux de luxe (bijouterie, vêtements). Des concessionnaires automobiles, des magasins d'électromanager, comme ceux d'El-Hamiz, ou encore les magasins “chic” de Sidi-Yahia, ont été particulièrement ciblés par des bandes de voleurs, bien organisés. Mais, en général, le mode opératoire des émeutiers consistait à fermer les principaux axes routiers, à l'aide de pierres et de pneus brûlés, avant de se livrer à des affrontements avec les forces de sécurité.
Les émeutiers opéraient par petites bandes, ne dépassant pas, généralement, la cinquantaine de jeunes. Trois slogans revenaient dans leur bouche : “hogra”, chômage et cherté de la vie.
Le vent d'émeutes a commencé à souffler durant la nuit de mardi, dans la banlieue ouest d'Alger, avant de gagner, dans la journée de mercredi, la ville d'Oran et d'atterrir dans le très symbolique quartier de Bab El-Oued, dans la soirée. C'était le signal fort du début de quelque chose que la rumeur avait déjà précédé. Similitude avec le 5 Octobre 88 ? Peut-être. En tout cas, pour avoir couvert les émeutes de 1988, force est de constater que l'on est loin, très loin de ce scénario, même si certains ingrédients frappent par la ressemblance.
Toujours est-il que le gouvernement a brillé par son silence. La télévision a dû attendre le JT de jeudi soir pour annoncer “des actes de vandalisme isolés” et de passer en boucle des réactions de réprobation. 22 ans après Octobre, le vent du professionnalisme n'a pas encore soufflé sur le boulevard des Martyrs qui, lui, reste “isolé” de la réalité du pays.
Le gouvernement, par l'intermédiaire du ministre du Commerce, a tenté de se montrer rassurant, en convoquant une réunion avec les opérateurs concernés par l'importation et la transformation du sucre et de l'huile. Au sortir de la rencontre, Mustapha Benbada annoncera le retour aux anciens prix de ces deux matières à partir de la semaine prochaine. Il avouera, entre-temps, que les grossistes ont obtenu gain de cause, en ce qui concerne l'obligation de payer par chèque leurs commandes, et par extension, les impôts.
De son côté, Issad Rebrab, le patron de Cevital, martèlera que son groupe n'a pas augmenté ses prix et qu'il continuait à pratiquer les prix anciens, étant donné qu'il continuait à travailler avec l'ancien stock que le groupe avait constitué. Mais sur le terrain, la nuit de jeudi aura été la plus chaude et la plus violente, avec l'extension des émeutes aux quartiers de la capitale jusque-là épargnées, mais aussi dans d'autres villes, notamment à Bouira, Boumerdès, Béjaïa, Bordj Bou-Arréridj et M'sila.
C'est que, pour les jeunes sortis, un peu partout, la cherté des produits de première nécessité n'était que la goutte qui a fait déborder le vase. Prévisibles, ces émeutes ont été précédées, il y a quelques jours, par celles des mal-logés, mais aussi de nombreuses émeutes qui se sont déclarées, un peu partout, là où ça n'allait pas bien. En fait, l'émeute est devenue le seul mode d'expression de la société, face à la méfiance vis-à-vis de la classe politique et du mouvement associatif, mais aussi face à la démission de l'Etat qui, malgré les sommes colossales injectées dans le volet social, n'arrive pas à redonner espoir aux millions de désespérés. Même les islamistes, jusque-là prompts à exploiter la moindre expression de mécontentement, ont eu pour leur compte, à l'image de Ali Benhadj, parti offrir ses “bons services” aux émeutiers de Bab El-Oued. Il a failli être lynché par les jeunes, qui lui ont crié que les années 90, c'était fini ! Il n'a dû son salut qu'à l'intervention des forces de sécurité. Les raisons de ce soulèvement sont à chercher ailleurs. Ces jeunes n'ont connu, depuis leur naissance, que le terrorisme et Bouteflika. Ils ont été les éternels laissés-pour-compte dans un pays où les nouveaux nababs affichent leurs fortunes mal acquises et où les scandales de corruption défrayent la chronique quotidienne. Ces jeunes ne sont pas, en principe, concernés par la cherté de la vie, étant donné qu'ils sont, pour la plupart, chômeurs et célibataires. Mais leur cri se veut, surtout, un message fort au pouvoir, quant à l'urgence d'opérer des changements radicaux, comme en Octobre 88, que ce soit en matière de gouvernance et de gestion des dossiers économiques qui posent problème, ou que ce soit en matière politique, où le peuple doit avoir droit de cité, en lieu et place de cette foultitude de “représentants” du peuple dont l'insolent enrichissement cons-titue, à lui seul, une raison pour que personne ne leur fasse confiance.
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