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Il y a 20 ans, les émeutes de Constantine
Contre la malvie et pour la démocratie
Publié dans El Watan le 14 - 11 - 2006

L'histoire récente de l'Algérie a été marquée par des faits qui ont contribué à l'évolution politique du pays, mais dont l'écho se tarit à la faveur d'une amnésie officielle, confortée par l'insuffisance du travail de mémoire de la part de l'élite.
Dans ce registre, les événements de Constantine de 1986 subissent une sorte de mutisme consensuel ou fortuit, qui risque d'effacer les dernières traces d'une révolte sociale marquante. Ces événements ont été des plus violents, exacerbant, comme disait le sociologue M'hammed Boukhobza, l'évolution des rancœurs vers la rupture. Constantine était, en effet, le dernier incendie, avant octobre 1988. Vingt ans après, la jeune génération ignore ce qui s'est passé à Constantine, en ce novembre 1986. La cité avait brûlé pourtant, pendant plusieurs jours, des effets de violents affrontements entre la population et la police. Il y a eu beaucoup de dégâts matériels, mais aussi des morts, des blessés, des arrestations et des condamnations arbitraires par la justice. La chape de plomb imposée par le régime en place depuis l'indépendance a été sérieusement ébranlée. Elle ne cédera pas cette fois, mais les dégâts vont affaiblir le consensus, au plus haut niveau du pouvoir, préparant le changement. A cette époque, les Algériens n'avaient pas encore digéré la honte de leur participation au Mondial de Mexico, venue s'ajouter à la paupérisation rapide et surprenante qui va faire plier la majorité de cette population de 23 millions d'habitants et laminer notamment la classe moyenne. 1986, c'est la crise. Au moment où le régime de Chadli s'occupait à faire briller sa vitrine, après l'adoption de la nouvelle charte nationale, les cours du pétrole s'effondraient (-50% en six mois), réduisant les recettes nationales (98% dus aux produits hydrocarbures), pour les placer au-dessous de la barre de 10 milliards de dollars. Au même moment, la valeur du dollar américain, monnaie choisie par l'Algérie pour effectuer ses transactions pétrolières, atteignait son plus bas niveau. Les prix du gaz suivront, prenant de court les dirigeants du pays et leurs stratèges, qui vont devoir appeler le peuple à « serrer la ceinture » et inventer la méthode douce pour faire passer la pilule des restrictions budgétaires de -20% sur le programme d'importations, et de -26% sur les équipements.
Le régime soufflait sur les braises
Devant la dégradation des conditions de vie, l'inquiétude cède rapidement la place à l'effervescence dans la rue. Une véritable lame de fond venait de loin. Mais le pouvoir n'y voit rien et tourne le dos à cette montée de la haine et des nouvelles aspirations en lançant la machine répressive du parti unique et des appareils à l'assaut de la société. A Constantine, le chaudron brûle, annonçant une explosion imminente. A contrario, la mise au pas est tous azimuts. Caporalisation des organisations de masse en application de l'article 120, répression et instrumentalisation de la justice contre le mouvement de la jeunesse (procès et condamnation des militants de l'UNJA), main basse sur le patrimoine immobilier de l'Etat à la faveur de l'application de la loi sur la cession des biens de l'Etat (locaux commerciaux, villas, sièges d'entreprises et d'administrations publiques, terrains, notamment à Aïn El Bey, usine Duplan…), exaspérant le mécontentement de la population. A cette époque aussi, la société était livrée au discours islamiste, notamment celui des prédicateurs égyptiens El Karadaoui et El Ghazali, installé à la tête de l'université des sciences islamiques, faisant le lit de l'idéologie qui va produire les futurs cadres et militants du FIS et leurs différents bras armés. Il n'y a que le pouvoir qui reste aveugle et refuse de voir. Pire que ça, il répond par le châtiment à la montée des luttes syndicales (pour les syndicats représentatifs) et des revendications socioprofessionnelles, notamment en réprimant les grèves dans les usines du complexe de l'ENMTP de Aïn Smara et les chantiers de Sonatiba et de l'Ecotec. La crise du logement constitue, parallèlement, un autre motif de révolte, qui sera traité de la même sorte. Les familles parquées dans le centre de transit du Polygone et celles des bidonvilles du Bardo et de « New York », en souffriront, pendant que les membres du comité du quartier Boudraâ Salah seront condamnés à la prison pour avoir manifesté pour le droit au logement social. Dans les institutions pédagogiques, la situation était tout aussi inquiétante. Au sein des lycées, l'expérience de l'école fondamentale commençait à montrer des signes de flottement, alors que l'université de Constantine s'était transformée en une véritable poudrière, en ce début de l'année 1986. Plusieurs tentatives de marche sur la ville ont été empêchées en signe de protestation contre l'absence de dialogue et de répondant face aux revendications des étudiants et de leurs enseignants. Les mêmes, d'ailleurs, que celles exprimées aujourd'hui. La veille de l'éclatement des émeutes, les résidents de la cité universitaire Zouaghi Slimane, située sur la route de l'aéroport, bloquaient la route nationale, protestant contre la qualité de la restauration et des conditions d'hébergement. Cette manifestation sera durement réprimée par les services de l'ordre. L'enceinte universitaire de la cité sera violée et les chiens lâchés aux trousses des manifestants. Une cinquantaine d'étudiants seront arrêtés cette nuit. Samedi 8 novembre. Rue Kaddour Boumeddous, dans la cour du lycée Benbadis, face au siège de la station régionale de la Radio et télévision nationale (RTA), une effervescence inédite gagne les élèves, en ce jour ensoleillé, et des voix de lycéens se relayent pour charger à bloc les terminalistes et les inciter à s'insurger contre l'instruction ministérielle annoncée durant la matinée par le proviseur, stipulant l'introduction de deux nouvelles matières, l'éducation politique et l'éducation islamique, dans les épreuves du bac. Les candidats sont gagnés par la panique devant la perspective d'une telle décision qui, croient-ils, aura un effet négatif sur leur préparation et leurs chances de réussite. Une idée fait son chemin alors pour le boycott des classes.
Les camions Saviem…
Une autre idée plus hardie fait le tour des lycéens et propose de faire une marche jusqu'au siège de la direction de l'éducation. Avec leur spontanéité, des centaines d'élèves s'organisent et engagent leur manifestation. Nazim H. était parmi eux et raconte que la procession a choisi d'emprunter les ruelles de Bellevue au lieu du Boulevard, en scandant des slogans refusant le fait accompli et tournant en dérision le ministre de l'Education de l'époque, Mme Z'hor Ounissi : « Zaâroura, zaâroura, Z'hor Ounissi kaâboura. » Nous sommes en phase avancée de l'application des réformes qui visent à remplacer l'ancien système scolaire par le modèle de l'école fondamentale. A peine une heure après, le cortège débouche sur le boulevard de la République, en bas de la résidence du wali, et les lycéens, euphoriques, ne se doutent encore de rien. Sans crier gare, des camions de marque Saviem pointent leur nez et foncent en contresens, droit sur les manifestants. Les plus avertis vont réagir et prendre la fuite par le bois situé en contrebas. Quant aux autres, ils vont tomber dans l'étau des brigades antiémeute et subir un passage à tabac, avant d'être embarqués et conduits dans les locaux du commissariat central de Coudiat. Ils seront maintenus là des heures durant, avant que l'on décide d'élargir les mineurs. Les autres seront enfermés dans les geôles et vont y passer la nuit. L'information se propage comme une traînée de poudre et plusieurs lycées vont réagir et sortir dans la rue. A 17 km de là, le lycée technique de Aïn Smara vit lui aussi des troubles, en ce début de semaine. L'établissement est encore en chantier, mais il a été ouvert pour accueillir les élèves de Constantine, orientés ici malgré eux et sacrifiés comme des cobayes à l'expérience du fondamental. L'ensemble des élèves décide ce jour-là de manifester contre les mauvaises conditions d'accueil et organise une marche sur Constantine. A leur arrivée, ils sont accueillis par les bombes lacrymogènes des casques bleus. Ils arrivent à s'en sortir et rejoignent le mouvement des lycéens qui s'était transformé en marée humaine, manifestant devant la mosquée Emir Abdelkader et en de multiples foyers d'émeutes face à la répression massive de la police. A l'université de Aïn El Bey, les étudiants réunis en assemblée générale demandent de rencontrer les autorités locales pour dénoncer la violation de la franchise universitaire et exigent la libération, avant 14h, de leurs collègues arrêtés la veille. Passé ce délai, ils mettent à exécution leur menace et entament la marche. Quelques centaines de mètres plus bas, ils se heurtent à la force d'un dispositif sécuritaire impressionnant, et une violence insoupçonnée va s'abattre sur eux. L'université est encerclée, mais la fuite s'organise. Les barricades sont érigées non loin de là, à Djenane Ezzitoun, où va avoir lieu la jonction entre le mouvement universitaire, celui des lycéens et surtout celui de la rue. Les échanges se poursuivront jusqu'au soir. Le lendemain, l'émeute reprendra en se propageant dans plusieurs quartiers, notamment à Sidi Mabrouk, Oued Elhad et Mansourah. Les internes de l'hôpital, vêtus de leurs blouses blanches, organisent une marche vers le centre-ville pour protester contre la répression. Les étudiants des instituts situés à la Casbah font de même, mais la police empêche ces tentatives et bloque toutes les issues de la ville. Constantine brûle. Les manifestations, a priori pacifiques, chargées de revendications estudiantines se transforment en un mouvement de masse où se mêlent révolte sociale et vandalisme, mouvement organisé et lumpenprolétariat. Les édifices publics sont ciblés par les émeutiers qui cassent tout sur leur passage. Les agences de la CNEP du boulevard Belouizdad, les Galeries algériennes de la rue Didouche Mourad et la rue Abane Ramdane sont saccagées. Des bus et des poteaux électriques brûlés. Les symboles du pouvoir font les meilleures cibles : le siège du FLN sera détruit, celui de l'APS brûlé et plusieurs véhicules appartenant à des magistrats seront tout aussi ravagés par le feu. La fièvre émeutière s'étendra à Sétif et sera traitée de la même sorte. Le bilan fera état de 3 morts, des dizaines de blessés et autant d'arrestations.
La paranoïa du pouvoir
La révolte s'éteindra à Constantine, au bout de trois jours d'émeutes et de répression sans précédent. Mardi, la ville offrait un visage de désolation, comme si elle venait de subir les effets d'un cyclone. Le bilan de la répression est effarant : deux morts, des centaines de blessés et des centaines de personnes arrêtées, la plupart ramassées au hasard. C'est le temps de la vengeance. Rapidement, on passe à la liquidation des « trublions », et à l'occasion, régler les comptes avec les opposants, notamment ceux du parti de l'avant-garde socialiste (PAGS), d'obédience gauchiste. Au lieu de considérer les raisons du soulèvement populaire et ouvrir le dialogue, les pouvoirs cherchent un abcès de fixation et le PAGS était tout désigné. Mohamed Saïdi, mouhafedh FLN, qui se convertira plus tard à la démocratie, après avoir été promu ambassadeur en Libye, déclarera publiquement que les « marxistes du PAGS » étaient derrière ce mouvement de masse. La Sécurité militaire (SM) se chargera de la chasse aux sorcières. Le pouvoir organise le procès et dépêche un cadre du ministère de la Justice, un certain Nasri Azzouz, qui deviendra, plus tard, président de la Cour suprême et député FLN, pour superviser le procès et filtrer l'information. 186 jeunes seront présentés, jugés et condamnés, durant la même semaine, par le tribunal d'une manière expéditive. Le juge Bouchemal prononce des peines allant de 2 à 8 ans de prison ferme sur une simple liste des inculpés, où figurait des mineurs. La plupart seront internés dans la sinistre prison de Lambèse. La peur l'emporte chez les avocats de Constantine, qui vont refuser de défendre ces accusés. Seuls deux avocats, maîtres Ali Kechid et Boudjemaâ Ghechir, assumeront la défense. Le premier en fera, d'ailleurs, les frais. L'épisode restera une tache noire dans l'histoire du barreau de Constantine. Les pouvoirs publics ont paniqué, et, craignant un remake du scénario d'avril 80 en Kabylie, ont tout de suite réprimé le mouvement « pour le juguler ».
Les visiteurs de la nuit
« ... Un colt sera braqué sur ta tête... » L'expression est tirée du témoignage publié récemment sur internet par Abdelkrim Badjadja, actuellement exilé dans un pays du Golfe, sur les circonstances de son internement dans le Sud suite aux événements de Constantine. L'ancien directeur des archives nationales raconte, en effet, qu'il a été interpellé par des personnes, embarqué de force dans un véhicule banalisé et conduit à son domicile, situé dans un quartier de la ville de Constantine. Les hommes, identifiés comme étant des agents de la Sécurité militaire, procéderont à une fouille minutieuse de l'appartement et vont passer au crible le contenu de sa bibliothèque, sous les yeux hagards et terrorisés de ses enfants. Leur inculture est patente tant, raconte le témoin, ils étaient incapables de distinguer entre une littérature subversive et une publication de la Sned (organe étatique). Ils ne trouveront rien, mais Badjadja sera interpellé de nouveau, quelques jours plus tard, à l'aéroport de Constantine, par les mêmes services. Il sera assigné à résidence à Bordj Omar Driss, à 1500 km de chez lui, sans qu'il ne soit informé sur le motif de son arrestation ni sur le délai de son assignation. Sa famille attendra plusieurs semaines avant de retrouver sa trace. La scène qu'a vécue Badjadja chez lui est identique à celle vécue par les familles Bencheikh et Kechid. A la seule différence que l'universitaire Djohra Bencheikh et l'avocat Ali Kechid vont recevoir des visites de nuit de la part des limiers de la fameuse SM. Les deux seront arrachés à leurs familles et leurs appartements fouillés de fond en comble, sans mandat de perquisition et en violation des lois. Le « coup de filet » de la SM touchera aussi les universitaires Attika Temmim, Habib Tengour, Zoubir Slougui, Mahmoud Bettina, Messaoud Bourbia et Adel Abderrazak, tous répertoriés parmi le mouvement clandestin de gauche et soupçonnés de préparer une insurrection. Ces derniers, comme Djohra, seront relâchés, quatre jours après, à la suite de longues heures d'interrogatoires et de pression psychologique éprouvante. L'avocat Ali Kechid, quant à lui, passera quatorze jours dans les locaux de la SM. Il sera interrogé sur les événements de Constantine, ses convictions politiques et le contenu de sa plaidoirie lors du procès des jeunes à la cour de Constantine. Il sera, ensuite, transféré à Ouargla, le 3 décembre, et rejoindra les autres hôtes de Bordj Omar Driss, 24h après.
Souvenirs de Crésyl et hôtes de marque
Dans le camp militaire de Bordj Omar Driss (wilaya d'Illizi), Ali Kechid et Abdelkrim Badjadja vont se retrouver aux côtés de sept autres détenus qui portent les noms de Hachemi Zertal, à l'époque, sous-directeur de la cinémathèque de Constantine, Mourad Nefoussi et Mohamed Alliat, tous deux cadres de Cosider à El Hadjar, et Mohamed Boukhari, directeur de la programmation au théâtre d'Annaba. Il y avait, aussi, l'avocat Mokrane Aït Larbi et le cadre paramédical Arezki Kecili de Tizi Ouzou ainsi que l'anthropologue algérois Rachid Bellil. Quant à l'avocat et militant des droits de l'homme, Ali Yahia Abdennour, il sera maintenu à Ouargla aux côtés du couple Nekache. La plupart de ces intellectuels et militants des droits de l'homme subiront la torture par absorption de Crésyl, passage à tabac et perforation des doigts de la main au moyen d'agrafeuse. Ali Kechid raconte qu'il n'a pas reçu la notification de l'arrêté portant son assignation à résidence, pour atteinte à l'ordre public, avant le 7 décembre. Décision émanant du ministère de l'Intérieur signée par le directeur général de la Sûreté nationale, à l'époque Hadi Khediri, sur ordre du ministre Hadj Yala. Cette mesure va soulever une vague d'indignation et de condamnation et un large mouvement de solidarité qui va s'étendre jusque dans les milieux intellectuels français qui, emmenés par le professeur René Galissot, vont se joindre à leurs collègues algériens pour initier une série d'actions et faire pression sur le pouvoir algérien afin d'obtenir la libération des détenus ainsi que celle des 186 jeunes emprisonnés. La plus illustre des initiatives est sans doute la lettre ouverte adressée par le président de l'Association internationale des juristes démocrates, Joê Nordmann, au président Chadli Bendjedid, protestant contre la répression dirigée contre ces personnes et invitant le président à mettre fin à la mesure d'assignation à résidence. Une délégation, composée d'universitaires, d'intellectuels et d'artistes algériens, munie d'une pétition, va, de son côté, faire la tournée des institutions de l'Etat, à l'image de la présidence de la République, les dirigeants du FLN, l'ANP, le ministère de la Justice, la DGSN, ainsi que l'UGTA, l'UNJA et l'UNAC. A retenir aussi l'attitude courageuse des avocats d'Annaba, conduits par le bâtonnier maître Bouandas, qui ont boycotté la visite officielle du ministre de la Justice en signe de protestation contre la partialité de la justice dans ces événements. Plusieurs lettres ouvertes ont été adressées, également, au président de la République par les parents et les amis des détenus. La plus frappante est celle émanant de la mère de Ali Kechid, dont le contenu rappelait au premier responsable de l'Etat qu'elle était épouse et mère de chahids. Dans un passage, elle écrit : « Notre famille a payé, comme toutes les familles algériennes, le prix du sang et des larmes pour que nos enfants puissent vivre la tête haute, pour qu'ils ne subissent plus les brimades ni l'humiliation, pour qu'ils ne soient plus soumis à l'arbitraire et à l'oppression, pour qu'ils vivent dans un pays de droit et de justice sociale… » Ces sollicitations ont été autant de pressions qui ont poussé le pouvoir à lâcher du lest. En mars 1987, le président Chadli décide la levée des mesures d'assignation à résidence dans le Sud et, au mois d'avril, la libération des 186 condamnés.
Propagande officielle et médias français
La télévision nationale inaugure la campagne de propagande, dès le lundi, en organisant, au journal télévisé du soir, la repentance des personnes arrêtées, présentées comme de vulgaires vandales. La presse écrite, exclusivement des journaux appartenant à l'Etat, emboîte le pas à la télévision et consacre, dès le lendemain, une large couverture des événements, en focalisant sur les actes de sabotage. Les auteurs seront qualifiés de « fauteurs de troubles », en « majorité célibataires, repris de justice », selon El Moudjahid. L'APS parlera de « conspiration » d'éléments « hostiles à la Révolution, à sa marche et à ses victoires », qui n'hésitent pas à utiliser « la spontanéité de notre jeunesse » pour « réaliser les desseins du colonialisme, de l'impérialisme et de ses alliés ». Le quotidien arabophone An Nasr s'emploiera à publier les communiqués en langue de bois de condamnation et de soutien indéfectible aux dirigeants du pays de la part des organisations de masse, notamment l'UGTA et l'UNJA, et accuser « ces tendances qui nourrissent de la haine à l'égard de l'Algérie », en lavant l'université et ses étudiants de la responsabilité des émeutes. L'APS écrit encore : « La communauté universitaire se démarque et réaffirme sa mobilisation derrière la direction pour défendre les acquis de la Révolution. » Un mensonge savamment préparé pour cacher le caractère massif de la révolte, atteignant le sommet du ridicule dans cette motion de soutien aux autorités du pays, adoptée, soi-disant, par les étudiants lors de l'AG présidée par Abdelhak Brerhi, alors ministre de l'Enseignement supérieur. Le ministre était parvenu, il est vrai, à calmer les esprits contre la promesse de convaincre les autorités locales à libérer les étudiants et les lycéens arrêtés. La rencontre se déroulera, cependant, dans un climat de tension et le ministre se fera balancer sur sa table des cadavres de bombes lacrymogènes et un casque arraché à un policier. A l'opposé, c'est la presse française qui va faire le travail de l'information à travers une large couverture de l'événement. Plusieurs envoyés spéciaux viendront renforcer sur place les rangs des correspondants locaux de Libération, Le Monde, Le Figaro, France-Soir, etc. Les écrits vont agacer le pouvoir et deux journalistes, celles de Libération et du Nouvel observateur, seront expulsées.
La façade se lézarde au sommet
Au milieu du black-out imposé par le pouvoir sur l'information, un seul article va traverser les mailles de la censure et paraître sur les pages de Révolution africaine. Loin d'être une omission, la publication recevra, et allant contre la politique du pouvoir, l'aval de Mohammed-Cherif Messaâdia, le deuxième homme du FLN. Cette « peau de banane » renseigne sur la divergence de ce dernier avec le président Chadli et les luttes au sommet opposant le parti, l'appareil d'Etat et la hiérarchie militaire. Ali Kechid se rappelle, d'ailleurs, que l'attitude des militaires à l'égard des détenus et de leurs familles qui leur rendaient visite à Bordj Omar Driss était « correcte et constructive », confortant l'idée selon laquelle le premier responsable du camp et commandant de la 4e Région militaire, un certain Mohamed Betchine, était contre la mesure d'assignation en l'absence d'un procès. Suite aux événements, le chef d'état-major, le général Mostefa Benloucif, démissionnera de son poste, officiellement, pour des raisons de santé. Le directeur de la DGSN et le patron de la Sécurité militaire, le général Lakehal-Ayat, affichent au grand jour leur mésentente, et le commandant Meftah, responsable de la SM à Constantine, sera sacrifié comme un fusible. Quant à Chadli, son discours, prononcé le 11 novembre devant les walis, était un sérieux réquisitoire contre ses adversaires. Les véritables enseignements ne seront pas tirés. Deux années plus tard, l'Algérie s'engagera dans un processus démocratique qui va être celui de tous les dérapages, tuant tous les espoirs nés chez les Algériens. Entre temps, l'expérience de l'école fondamentale a officiellement échoué, les noces du pouvoir avec l'islamisme ont donné le FIS et les milliers de Antar Zouabri, et jeté les jeunes, notamment ceux condamnés à Constantine, dans les bras de l'hydre terroriste. Les cadres de la nation ont choisi massivement l'exil. D'ailleurs, durant notre enquête, nous avons découvert que la majorité des universitaires acteurs des événements de Constantine ne vivent plus en Algérie depuis longtemps. Aujourd'hui, soit 20 ans après, les émeutes plébéiennes cycliques n'ont pas pris fin et les ingrédients qui ont mené aux explosions de Constantine et d'Alger, sont, hélas, toujours d'actualité. L'économie ronronne encore et le despotisme éclairé est toujours au pouvoir. La société, quant à elle, voit ses aspirations contrariées, son identité toujours menacée, et souffre d'un chômage chronique, d'horizons bouchés et de conditions précaires d'existence.


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