L'accalmie n'aura duré qu'une nuit à Bachdjerrah. Hier matin, les échauffourées entre jeunes et forces de sécurité ont repris, transformant cette immense cité-dortoir en un lieu fantomatique. Tout a commencé tôt hier lorsque les policiers sont venus déloger les marchands ambulants de la route principale menant de la poste au marché. Les jeunes, qui ont profité de l'éclatement des émeutes, pour se réapproprier cette rue commerçante, se sont révoltés et se sont opposés aux forces de sécurité. Après quelques escarmouches, les policiers se sont retirés et ont laissé la rue aux manifestants, une cinquantaine, rassemblés autour de pneus qui brûlaient, alors qu'une centaine d'autres observaient de près le spectacle et attendaient, avec impatience, d'en découdre avec les policiers. Un hélicoptère de la police balayait la zone, histoire de faire comprendre aux manifestants que tous leurs faits et gestes sont suivis. Aux alentours de 12h, la tension restait vive et tout le monde s'attendait à ce que les affrontements reprennent, une fois la nuit tombée. Le marché des fruits et légumes et les revendeurs ambulants qui l'entourent, sont la seule activité visible en ce lundi. Même si les écoles ont ouvert leurs portes, la crainte des parents est visible. Bon nombre d'entre eux ont séché leur travail pour venir attendre leurs enfants devant les écoles. Les vieux et les vieilles ne semblent pas se soucier de ce qui se passe autour d'eux et font leurs courses comme si de rien n'était. Les revendeurs d'or, les dealers de drogue et de psychotropes continuent à écouler leur marchandise, en plein milieu des émeutiers. La poste, attaquée mercredi dernier, reste toujours fermée, de même que le grand bazar Hamza. Des dizaines de commerçants se tiennent aux abords du bazar pour protéger leur commerce. Ceux qui avaient la possibilité de vider leur boutique l'ont déjà fait et se sont mis en congé forcé, tandis que les autres, qui ne peuvent pas le faire, sont obligés de se défendre. Toutes les boutiques ont baissé rideau. De l'autre côté de la cité, la station de bus de l'Etusa est dévastée, les abribus ont volé en éclats. Aucun bus ne s'y aventure, aucun agent de l'Etusa dans les parages. L'agence Sonelgaz reste fermée, de peur de subir la visite des émeutiers. Partout, des traces de pneus brûlés et des jeunes revendeurs ambulants, marchandise dans des sacs de fortune, guettant la moindre occasion, pour l'étaler sur le trottoir. À Bachdjerrah, les propos du ministre de l'Intérieur, Daho Ould Kablia, au sujet des “rumeurs” ayant provoqué le déclenchement des émeutes à Bab El-Oued, sont sur toutes les langues. Pour rappel, le ministre a démenti, le 8 janvier dernier, l'existence d'une instruction relative à l'interdiction de la vente sur les trottoirs. Le ministre, qui s'est exprimé à l'ENTV, a reconnu que les émeutes ont été déclenchées à Bab El-Oued (Alger) après des rumeurs qui ont circulé sur la décision du gouvernement d'interdire le commerce informel et la destruction de maisons construites illicitement. “Le ministre dit une chose et la police fait autre chose”, commente Omar, un jeune vendeur à la sauvette. Pour lui, “Bachdjerrah, c'est pas Bab El-Oued. Ici, on est caché, loin des yeux et loin du centre-ville. Donc, on nous laisse crever”. Les jeunes revendeurs sont unanimes à dire que la décision de les déloger des trottoirs et ruelles est “inacceptable”, tant que la “daoula ne nous trouve pas de solution d'échange”. Dans une cité où la concentration démographique dépasse la moyenne nationale, et où les opportunités de travail sont quasi inexistantes, le marché informel a toujours été la soupape de sécurité. Saïd, revendeur d'œufs sur le trottoir depuis une dizaine d'années, raconte : “Je suis né dans ce quartier, quand j'ai ouvert mes yeux, les gens revendaient sur le trottoir. C'est la seule activité que je peux faire dans ce coin. Si on m'empêche de le faire, comment vais-je subvenir aux besoins de ma famille ? Ici, il y a que les voleurs et les revendeurs de drogue qui ne sont jamais inquiétés.” Tous les revendeurs pointent du doigt les centres commerciaux érigés sur le territoire de la commune. “La mafia dicte ses lois aux responsables de la commune. Ils ont attendu que les centres commerciaux soient fonctionnels, pour nous déloger. On ne peut pas louer une boutique à cinq millions par mois. On nous chasse pour laisser place à ceux qui ont la chkara et on nous demande de se taire. Nous n'allons pas nous taire”, fulmine Omar, la trentaine, qui avoue ne rien pouvoir faire de sa vie, sauf le commerce informel. Le centre commercial Hamza, érigé sur les ruines de l'ancien Souk El-Fellah, est particulièrement ciblé. Il a été attaqué dans la nuit de mercredi et reste ciblé par les jeunes en colère. Il y a lieu de rappeler que les marchands ambulants, qui squattaient rues et ruelles de Bachdjerrah, avaient été délogés au début du mois d'octobre dernier, sans que cela provoque le moindre incident. Les autorités locales avaient, alors, procédé à l'installation de quelque 500 tables au sein de l'ancien CEM de la cité des Palmiers, mais ce nouveau “marché de proximité” reste déserté par les familles qui ne veulent pas s'aventurer dans ce coupe-gorge. La situation reste tendue en début d'après-midi, même si aucun incident majeur n'est à relever. Tout le monde appréhende ce qui se passera une fois la nuit tombée. Mais, Hamid, chauffeur clandestin, habitué des lieux, ironise sur la situation. “Il n'y a aucune crainte. Il n'y a plus rien à casser, plus rien à voler”.