Pour les raisons historiques, politiques, économiques et sociologiques évoquées ici et ailleurs, il n'est pas envisageable que le scénario de la Révolution tunisienne se réédite en Algérie. Mais certainement parce que, comme le dit Missoum Sbih, “l'Algérie ne sera pas la Tunisie”. Que le taiseux ambassadeur d'Algérie en France ait cru de s'exprimer pour conjurer les démons de la révolte est en soi un aveu d'appréhension. Si le processus tunisien n'est pas reproductible dans son déroulement, il reste, et tous les observateurs s'accordent sur ce fait, que le pays présente tous les ingrédients d'une explosion sociale. L'hétérogénéité socioculturelle et la nature militaro-policière du régime font que tout mouvement social ou politique s'exprime forcément dans un excès de violence, comme on l'a observé au cours des crises passées. Il n'y a pas, en Algérie, que les déficits de justice sociale et de démocratie à dépasser ; bien d'autres contentieux d'ordres historique, identitaire, communautaire, clanique attendent l'opportunité d'être résolus, et pas nécessairement dans la conciliation. La “Réconciliation nationale”, par exemple, produit d'un état de rapport de force et non d'une démarche conciliatrice partagée, connaîtra un jour le sort des solutions imposées : la remise en cause. Comme tout, y compris la paix civile, repose sur la contrainte, l'Algérie vit une situation de veillée d'armes. Partout, on en respire le parfum. D'ailleurs, si la Révolution tunisienne n'a pas traversé la frontière, elle n'en marque pas moins, depuis la fuite de Ben Ali au moins, la vie politique nationale. Si l'on excepte les déclarations, parfois hardies, du ministre de l'Intérieur, nos officiels évitent de s'exprimer sur les questions politiques. Ainsi, le ministre de l'Emploi, interrogé hier, par une journaliste sur la réflexion que lui inspirait le décès d'un chômeur immolé, ne l'a pas entendue. Mais ce sont plus particulièrement les questions du pouvoir qui commencent à être escamotées. Les animateurs du “comités de soutiens” se font aussi opportunément discrets qu'ils se manifestaient avant l'explosion sociale politique en Tunisie. Ce n'est pas de sitôt qu'un porteur de bonnes nouvelles viendra nous annoncer qu'il a déniché, pour nous, le digne héritier de Bouteflika pour 2014. Même Belkhadem n'est sûrement pas près de refaire du quatrième mandat la mission légitimant son maintien à la tête de l'appareil FLN. Certains thèmes et dossiers qui renvoient à la question de l'alternance au pouvoir ou de la continuité, sont, en quelques sortes, mis sous le boisseau. Au moins provisoirement, car en politique, le silence comme la volubilité répondent à des règles de convenance qui s'imposent aux acteurs les plus puissants de la vie publique. Il serait donc faux de dire que la situation en Tunisie est sans influence sur l'ambiance politique nationale. Mais d'un autre côté, il serait imprudent de dire pour combien de temps le processus tunisien influera encore sur le débat, sourd, qui nous occupe : là aussi, les replis ne sont jamais que tactiques. Alors, profitons, sans jubilation, de cette provisoire avancée du débat national. M. H. [email protected]