Alors que la nuit de vendredi à samedi a été particulièrement violente malgré les promesses d'ouverture du président Moubarak et malgré le couvre-feu que les manifestants n'ont pas respecté, des milliers d'Egyptiens ont de nouveau investi les rues dès hier matin. “Moubarak, va-t-en !” criait-on à la place Tahrir, après l'annonce, vers midi, de la démission du gouvernement, conformément à la promesse faite la veille au soir par le raïs. Un nouveau cabinet devait être formé dans la journée d'hier, mais cela n'aura eu aucun impact sur la situation, les manifestants ne voulant pas de changements “de façade” qui permettent au régime de durer et de se régénérer. Au centre-ville du Caire, où des bâtiments officiels, dont le siège du parti au pouvoir, étaient en proie aux flammes, les militaires ont sécurisé, dès la mi-journée, le musée des antiquités égyptiennes qui recèle des richesses incommensurables. Selon des observateurs sur place, les échanges entre militaires et manifestants étaient plutôt amicaux, ces derniers grimpant même sur des chars sans se faire violenter. On se demande, dès lors, si le comportement pacifique, jusqu'ici, des militaires est à lier avec la visite éclair du chef d'état-major de l'armée égyptienne à Washington. Mais, en même temps, des policiers ont tiré, selon l'agence de presse Reuters. À Ismaïlia, des témoins ont fait part de heurts violents entre manifestants et policiers. Pour sa part, la chaîne Al-Jazeera annonçait, dès 10 heures, hier, 15 tués à Suez et 23 à Alexandrie, deuxième plus grande ville du pays. À 11 heures, la radio France-Info annonçait, pour sa part, que 30 cadavres, dont ceux de deux enfants, ont été transférés dans un hôpital du Caire. Au total, des sources indépendantes estimaient à plus de 100 morts et 2 500 blessés le bilan du soulèvement, alors qu'au même moment, le ministère de la Santé faisait état de 38 morts, dont des policiers, pour la seule journée de vendredi. À 14 heures, on apprenait que dans la seule ville d'Alexandrie, le bilan était de 36 morts et que 8 personnes ont été tuées par balle dans une prison située dans les faubourgs du Caire. À Rafah, ville frontière avec la bande de Gaza, le siège de la sécurité de l'Etat a été attaqué et trois policiers ont été tués, rapportaient des témoins. À travers toutes les villes du pays, plusieurs commissariats de police étaient en flammes, dont 17 dans la seule capitale du pays. Selon les services de sécurité, plus de la moitié des commissariats du pays ont été incendiés. Un peu plus tard, des milliers de manifestants tentaient d'attaquer le ministère de l'Intérieur, brûlant des voitures de police à proximité de l'immeuble et des tirs fournis étaient entendus aux environs du siège de la Banque centrale et dans le voisinage d'une prison du Caire. La police aurait ouvert le feu sur les manifestants, tentant de prendre d'assaut le ministère de l'Intérieur, tuant trois manifestants, selon un premier bilan annoncé par la chaîne qatarie Al-Jazeera. Alors même que les communications téléphoniques suspendues vendredi ont été rétablies hier matin, sous la forte pression des Etats-Unis, le couvre-feu a été étendu de 16 heures à 8 heures du matin dans les grandes villes du pays, et l'armée, qui s'est gardée d'intervenir jusqu'à présent, a appelé la population à le respecter et à s'organiser pour se protéger des pilleurs. Pour sa part, la télévision d'Etat a averti que quiconque braverait le couvre-feu se mettrait en danger. Les manifestants se trouvaient cependant par milliers dans les rues après l'entrée en vigueur du couvre-feu et la situation s'annonçait des plus tendues pour la nuit de samedi à dimanche. Les évènements sanglants qui se déroulent en Egypte ont provoqué de nombreuses réactions internationales. Alors que la Maison-Blanche continue sa pression sur Moubarak pour ne pas tirer sur les manifestations pacifiques, pour l'Union européenne, “les violences doivent cesser”. Le Premier ministre français, de son côté, a estimé que “c'est le peuple égyptien qui décide”. A contrario, et sans surprise, plusieurs chefs d'Etat arabes ont appelé leur homologue égyptien pour lui exprimer leur soutien. Pour sa part, l'Iran, qui a rompu ses relations diplomatiques avec Le Caire depuis trente ans, “suit et observe attentivement les évènements en Egypte, et attend des responsables du pays qu'ils écoutent la voix de la nation musulmane et qu'ils se soumettent à ses exigences légitimes”, selon le porte-parole de la diplomatie iranienne. Cette déclaration du pays des mollahs a eu un écho immédiat en Egypte, puisque quelques minutes plus tard, les Frères musulmans ont appelé à “une passation pacifique du pouvoir”. Dans une ultime tentative de calmer les esprits, Hosni Moubarak a annoncé, hier, la désignation du patron de ses services secrets, le général Omar Souleymane, au poste de vice-président, et le général Ahmed Chafic, ministre de l'Aviation et ancien commandant de l'armée de l'air, a été chargé de former un gouvernement.