Si la tendance socioéconomique actuelle n'est pas stoppée, l'Algérie, en tant qu'Etat souverain, risque la disparition, note l'expert. Brillant et triste exposé que celui présenté, hier, au Centre international de presse, à Alger, par Mohand-Amokrane Chérifi, consultant international en matière d'affaires économiques, et militant du FFS. Ministre des Finances dans le gouvernement Merbah, Chérifi, qui s'exprimait dans une conférence-débat à l'occasion du 40e anniversaire de la création du Front des forces socialistes (FFS), a présenté des données récentes, vérifiées et recoupées à partir des chiffres fournis par les institutions officielles nationales, telles que l'Office national des statistiques (ONS) et le Conseil national économique et social (CNES), et les organismes internationaux spécialisés. Il en ressort, sans surprise, un tableau peu reluisant, grave même, si l'on prend en compte les plaintes et les doléances de notre consultant. À tous les niveaux, comprend-on, l'Algérie a fait pire que stagner : elle a régressé sans jamais le reconnaître, mais au contraire en essayant toujours de masquer une réalité que le quotidien trahit et, parfois, dénonce. “Nos gouvernants trichent avec les institutions internationales, présentant à chaque fois des statistiques erronées ; c'est d'autant plus stupide que ces institutions ont leurs propres sources d'informations et connaissent donc les vrais chiffres”, relève-t-il. L'économie algérienne, selon lui, manque d'orientation, de clarté et, surtout, de vision nationale : “Les entreprises, notamment, et les opérateurs étrangers comprennent vite qu'ils sont en face d'un système de décision flou. Flou et lent. Même la mémoire économique est perdue. Notre économie n'est ni planifiée ni libéralisée, il devient logique que l'Algérie soit ingouvernable par le haut et incontrôlable par le bas”, note l'expert. Au moment où le président de la République distribue des enveloppes à volonté, où le gouvernement s'enorgueillit de l'efficacité du plan de relance, Mohand-Amokrane Chérifi s'interroge sur la destination des recettes des exportations d'hydrocarbures. Il s'interroge amèrement après avoir révélé qu'entre 1999 et 2002, l'Algérie a encaissé au moins 100 milliards de dollars ! “Il y a, en fait, un différentiel de recettes qui constitue une véritable caisse noire” (pour le pouvoir) “et cette embellie financière masque, en réalité, un déclin économique”. Un déclin dont les conséquences sont brutales, naturellement néfastes et désastreuses : chômage galopant (plus de 30% de la population), 500 000 pertes d'emploi entre 1999 et 2000, revenu divisé par deux, détérioration du pouvoir d'achat et des conditions de vie des ménages (la moitié des Algériens vit avec moins d'un dollar par jour), aggravation de certains fléaux sociaux, comme la drogue et le… divorce, effondrement des structures familiales, etc. La sobriété de Chérifi a contrasté avec l'intransigeance des chiffres. Ce n'est certainement pas notre classement mondial, en termes de développement humain — calculé sur la base du produit intérieur brut, l'espérance de vie et le niveau d'instruction —, qui peut le contredire (107e sur 173 pays). D'où cette sentence du consultant : “Si la tendance actuelle n'est pas stoppée, l'Algérie, en tant qu'Etat souverain, disparaîtra d'ici dix à quinze ans”. Mohand-Amokrane Chérifi propose, en guise de solutions, une triple intégration, nationale, régionale et mondiale. Nationale par la rupture des déséquilibres et des inégalités, avec notamment un système bancaire modernisé, régional par la création d'une zone d'échange préférentielle entre pays du Maghreb qui se transformerait en zone de libre-échange, puis en union douanière et, enfin, en union économique et monétaire. Mondiale par l'adhésion — sous conditions — à l'OMC. L. B.