Le leader du mouvement islamiste Ennahda, Rached Ghennouchi, est rentré, hier, de son exil londonien, profitant de la chute du régime de Ben Ali. Ce retour au pays coïncide avec la fin de la contestation qui avait secoué la Tunisie, pendant près d'un mois. L'après-Ben Ali commence à peine à se dessiner que les islamistes font parler d'eux et veulent être pris en compte dans la nouvelle configuration du paysage politique tunisien. Mais la crainte de voir les islamistes d'Ennahda profiter de la révolte du Jasmin pour prendre le pouvoir est visible chez bon nombre d'observateurs tunisiens. Les islamistes tunisiens se sont libérés, à la faveur de ce qu'ils considèrent comme “intifadha”. Ils affichent leurs signes distinctifs, se permettent de diffuser, à haute voix les versets du Coran et se faufilent discrètement parmi les manifestants, sans pour autant faire des démonstrations de force pouvant faire retourner l'opinion publique contre eux, en cette période cruciale de l'histoire de la Tunisie. Selon Raouda Laabed, “l'arrivée au pouvoir des islamistes en Tunisie va nuire au pays, notamment à la situation de la femme qui risque de voir ses droits remis en cause”. Mais cet avis n'est pas partagé par Hamed El-Djebali, l'un des principaux leaders du mouvement Ennahda, interdit durant le règne de Ben Ali, qui a accusé les laïcs et certains médias occidentaux de donner une fausse image des islamistes, estimant que “des journaux et des chaînes de télévision en Europe et en Amérique tentent de faire peur aux gens en leur disant que les islamistes étaient de retour. Ces médias trouvent des soutiens en Tunisie de la part de ceux qui haïssent la religion”. Et d'ajouter : “Nous ne sommes pas le mouvement des talibans, ni l'organisation Al-Qaïda, ni Ahmadinedjad, nous respecterons le choix des urnes au moment du scrutin.” Pour sa part, l'expert dans les mouvements islamistes, Salah Eddine El-Gourchi, estime que “le mouvement Ennahda en Tunisie, a été le mouvement qui a le plus subi l'oppression parmi tous les mouvements d'opposition sous le règne de Ben Ali”, avant d'ajouter : “Les adeptes d'Ennahda sont plus nombreux que les militants des partis d'opposition laïcs”, affirmant que le mouvement aura un rôle plus important dans les prochains mois. Mais, pour le moment, le mouvement islamiste ne va pas présenter de candidat pour l'élection présidentielle, selon Hocine El-Djaziri, le porte-parole du mouvement, à la veille du retour de Rached Ghennouchi, le leader emblématique du mouvement, exilé à Londres. Cependant, le porte-parole du mouvement affirme que le mouvement prendra part aux élections législatives. Pour lui, “le mouvement ne compte pas diriger le pays. Il veut participer avec d'autres forces du pays”. Cependant, El-Djaziri met en garde contre l'exclusion du mouvement Ennahda du processus politique à venir. Les islamistes tunisiens ont, donc, choisi la voie de l'entrisme et préfèrent avoir un pied dans le Parlement que de se jeter à fond dans la présidentielle, avec le risque de la perdre. D'autant plus que la majorité des Tunisiens ne veut plus entendre parler d'un régime présidentiel. Le mouvement Ennahda se prépare, donc, à un modèle à la turque, où il aura à jouer les premiers rôles. Pour l'écrivain et analyste Fouad El-Hamrouni, le fait que les islamistes se contentent de participer au Parlement, parce qu'ils prennent en compte la situation actuelle de la Tunisie. Ils ne visent pas tout le pouvoir actuellement, mais préfèrent une participation limitée. Pour rappel, le mouvement islamiste était arrivé second, derrière le RCD de Ben Ali, aux élections législatives de 1989, malgré les soupçons de fraude qui avaient pesé sur le déroulement des élections. Le mouvement a été interdit, ses leaders emprisonnés, au lendemain de ces élections.