Cet universitaire estime que le défi de la Tunisie est de construire un Etat de droit en respectant toutes les libertés, afin d'arriver à une vraie démocratie. Selon lui, cela commence par la rupture avec l'ancien régime. La révolte tunisienne était hier au cœur d'un débat au Centre de recherche stratégique et sécuritaire (CRSS). Pour son premier forum, qui s'est tenu hier à l'hôtel El-Djazaïr, le CRSS a invité M. Mohamed Djouili, sociologue à l'université de Tunis, pour parler des évènements de la Tunisie et les nouveaux défis qui attendent ce pays. “Aucun Tunisien ne pensait que cela allait arriver de cette manière et aussi rapidement”, a déclaré M. Djouili, qui a estimé que plusieurs défis attendent la Tunisie. Selon lui, l'enjeu le plus important est de construire un état de droit en respectant toutes les libertés et la volonté du peuple. Il estime toutefois qu'il faut beaucoup de temps pour construire une vraie démocratie. “En ce moment, la Tunisie vit une situation particulière, on découvre la liberté après 23 ans d'oppression. Nous savons que nous avons beaucoup de choses à construire mais il faut du temps. La France a mis presque 100 ans pour pouvoir instaurer une vraie démocratie”, a-t-il dit. Un tel chantier doit commencer, selon lui, par une rupture avec l'héritage de l'ancien régime et la mise en place d'un gouvernement qui assurera la transition et organisera les élections. Abordant ce que certains appellent la menace islamiste et les risques d'un recul des libertés en Tunisie, l'orateur a estimé que les islamistes ne constituent pas un danger pour son pays. “Malgré les craintes des démocrates, j'estime que les islamistes ne constituent pas un réel danger”, expliquant que ceux qui craignent un tel scénario, “ne connaissent pas très bien la réalité de la société tunisienne”. Et d'ajouter que la Tunisie ne peut faire marche arrière ni revenir sur des constantes de l'Etat telles que la laïcité et la liberté de la femme. “Les islamistes revendiquent une petite boutique dans le cadre d'un consensus ou un accord avec les formations politiques”, a-t-il noté. M. Djouili a qualifié la Révolution tunisienne de “postmoderne”, d'où sa spontanéité et sa rapidité. Selon lui, les raisons du soulèvement se situent dans le ras-le-bol des individus qui s'est exprimé par plusieurs actions, notamment le phénomène de l'émigration clandestine qui a pris de grandes proportions. Il a rappelé qu'avant l'immolation du jeune Bouazizi, il y avait d'autres évènements dramatiques en Tunisie, malheureusement passés sous silence, notamment les évènements de Ben Gardane, durant le dernier mois de Ramadhan. “Tous ces évènements ont créé un climat de révolte au sein de la jeunesse tunisienne qui n'acceptent plus de vivre de cette manière”, a-t-il témoigné. Le sociologue estime que la mondialisation, notamment l'ouverture de l'espace virtuel, a joué un rôle très important. Selon lui, la révolte s'est d'abord construite sur les réseaux sociaux tels que facebook et Twitter avant que les jeunes ne descendent dans la rue. M. Djouili a expliqué qu'au départ les manifestants n'avaient pas de revendications politiques bien précises, ils voulaient simplement en finir avec l'oppression, l'injustice… et la “hogra”. Il a indiqué que les slogans utilisés durant la révolte, à l'exemple de “Game over” et “Dégage” étaient liés à la culture des jeunes. Selon lui, la première formule fait référence aux jeux électroniques et la deuxième au football. “Longtemps, les jeunes Tunisiens ont été accusés d'individualisme, de manque de culture politique et de responsabilité, ils ont démontré l'inverse. Ils nous ont donné une leçon de militantisme et de révolte”, a-t-il avoué. “C'est la première révolution postmoderne menée par les jeunes”, fait remarquer le sociologue. Concernant l'effet de la “contagion” dans la région et l'exportation de l'exemple tunisien en Egypte, l'orateur a affirmé que la Tunisie n'a rien fait pour qu'il y ait une espèce de contagion. “Ce sont des révoltes postmodernes qui obéissent à une culture internationale très ancrée chez les jeunes”, a-t-il conclu.