Dictateurs, tortionnaires et autres violeurs des droits de l'Homme se frottent les mains, Bruxelles a tourné le dos à sa loi de compétence universelle dont ils étaient directement menacés. Sa plus haute instance judiciaire, la cour de cassation, vient d'annoncer une fin de non-recevoir aux plaintes déposées contre le premier ministre israélien (Sharon), l'ancien président des état-Unis (Bush père), le secrétaire de l'état américain (Powel), le secrétaire à la défense (Rumsfeld) et le général américain (Tommy Franks), responsable de l'invasion de Irak, au printemps dernier. Ce dessaisissement fait suite à l'abrogation, cet été, par le parlement belge de juger des crimes contre l'humanité, crimes de guerre et génocides, “quel que soit le lieu où ils ont été commis et la nationalité des auteurs et victimes”. La Belgique avait défrayé la chronique lorsque cette loi, unique dans le monde, avait été adoptée en 1993. Tant que dans le box des accusés il n'y avait que des Rwandais (jugés en 2001 pour participation au génocide de 1994), personne n'a trouvé à redire. Les choses ont commencé à se corser sérieusement avec les plaintes de Sabra et Chatila, en 1982, à Beyrouth, et la situation est devenue intenable pour les autorités belges dès lors que des dossiers similaires ont été introduits auprès de la justice belge contre de hauts représentants américains. Le gouvernement de Guy Verhofstald, après avoir imputé cette loi à ses prédécesseurs socialistes, a dû faire machine arrière devant les formidables pressions d'Israël et des Etats-Unis. Rumsfeld, le secrétaire d'Etat de Bush, n'a pas fait dans le détail pour exiger le retrait de la loi. Faute de quoi, avait-il menacé, le siège de l'Otan sera délocalisé de Bruxelles ainsi que toutes les activités américaines en Belgique. Des milliers d'emplois auraient disparu et le port d'Anvers, plaque tournante du commerce euro-atlantique, menacé de faillite. Sans compter la disparition du prestige diplomatique que la Belgique tire directement en tant que siège de l'Otan. Avec le procès contre Sharon, la Belgique aurait perdu également sa mainmise sur le commerce mondial du diamant. Face à cette perspective “apocalyptique”, brillamment exploitée par son chef de la diplomatie, Louis Michel, Bruxelles n'a pas hésité à réajuster une loi qui aurait bouleversé la juridiction internationale et qui avait donné espoir aux militants et défenseurs des droits de l'Homme. Plus particulièrement aux victimes de régimes où les droits humains sont bafoués sans aucune possibilité pour eux d'obtenir dans leur propre pays justice et réparations. Pour faire passer la pilule, les autorités belges ont inlassablement invoqué l'existence de la Cour pénale internationale (CIPI), dont la création reste symbolique tant que les Etats-Unis n'auront pas ratifié la loi y afférente. Selon les nouvelles dispositions de la loi de compétence internationale, toute plainte pour crime contre l'humanité, crime de guerre ou génocide n'est recevable que si “le plaignant et le mis en cause sont de nationalité belge ou résidant régulièrement en Belgique depuis trois années”. On est loin du texte original qui avait permis de faire le procès du génocide du Rwanda. Encore que, à ce niveau, tout n'a pas été dévoilé et les principaux instigateurs courent toujours. Le tribunal international sur ce dossier peine d'ailleurs à boucler son procès. Le procureur Carla Del Ponté va quitter la Tanzanie (siège du tribunal sur les crimes commis au Rwanda), son mandat n'a pas été renouvelé par l'Onu. Ce n'est pas demain que seront systématiquement poursuivis les auteurs de violation des droits de l'Homme. Pinochet coule, en toute quiétude, ses derniers jours à Santiago, malgré tout le tapage juridique fait autour de son passé en Europe. D. B.