Nous avons confirmé, ici à Madrid, que la plus haute instance pénale espagnole, le parquet de l'audience nationale, a demandé au juge Baltasar Garzon d'instruire une plainte pour génocide au Sahara occidental. Nos sources indiquent que 32 personnalités marocaines, très proches du roi, sont dans le collimateur. La machine judiciaire a été effectivement enclenchée, puisque le fait que l'audience nationale a accepté le transfert du dossier au célèbre juge veut tout simplement dire que la plainte n'a pas été rejetée. Et c'est déjà problématique pour le gouvernement royal. Cependant, on ne crie pas encore victoire dans le milieu sahraoui, car l'aboutissement d'une telle affaire n'est pas encore visible en raison de plusieurs paramètres, politiques bien entendu. D'abord, cela est lié principalement au juge en question qui, selon des indiscrétions ici à Madrid, est libre d'accepter ou de refuser d'instruire le dossier. L'enthousiasme des plaignants s'inspire de l'année 1998 où le juge Garzon avait demandé l'extradition du dictateur chilien Pinochet, alors qu'il se soignait en Angleterre. Une affaire problématique Sauf que, depuis, le contexte n'est plus le même et, au-delà de l'acte (symbolique pour certains) de la plainte, l'affaire est problématique pour plusieurs parties dont le Maroc, en particulier. Au-delà du scepticisme des uns et des autres, pour le responsable du département international de l'association des parents de prisonniers et disparus sahraouis, Ahmed Laabied, « le but de cette plainte est de faire justice aux graves violations des droits de l'homme perpétrées de façon systématique contre la population civile sahraouie et de traduire devant les tribunaux les responsables de ces crimes contre l'humanité ». Les responsables poursuivis sont de gros calibre. Qu'on en juge : Yassine Mansouri, patron de la direction générale des études et de la documentation, proche collaborateur de l'actuel roi, le général Hosni Benslimane, patron de la gendarmerie royale, le général Abdelaziz Bennani, inspecteur général des forces armées royales, le général Hamidou Laânigri, inspecteur général des forces auxiliaires et, entre autres... Driss Basri, l'homme fort de feu Hassan II. A la question de savoir si le procureur de l'Etat espagnol accepte la plainte, M. Laabied est clair : « Nous savons que le procureur de l'Etat espagnol a demandé au juge Garzon d'instruire notre plainte, c'est le plus important. » Pour M. Laabied, « la politique n'a rien à faire dans une affaire de crime contre l'humanité ». Et... dans ce dossier quoi qu'on en dise, la politique est « fatalement » partie prenante. Alors, selon des observateurs dans la capitale ibérique, si le juge Garzon acceptait d'instruire le dossier, il convoquerait naturellement les personnalités citées dans la plainte, mais ce n'est pas toujours évident pour nos sources qui expliquent que le célèbre juge traîne derrière lui un passé politique. Nos interlocuteurs nous rappellent qu'en 1993, Garzon était député du Parti socialiste ouvrier espagnol. Avant d'être nommé chef du Plan national contre les drogues, il était donc considéré comme le numéro deux du ministère de l'Intérieur. « Nous avons confiance en la justice espagnole » Un poste important. Mais voilà, nous dit-on, « Garzon a instruit un dossier contre son ami et collègue Javier Gomez De Liaño, accusé de fomenter un complot contre le propriétaire du quotidien El Pais. Un juge, Javier, qui, aujourd'hui, est très célèbre aussi pour ses dossiers liés au terrorisme d'Al Qaïda. C'est peut-être compliqué comme thèse, toujours est-il que le juge Garzon, socialiste (ça joue ici en Espagne), ne serait pas heureux d'avoir ce colis empoisonné entre les mains (la plainte des Sahraouis). On dit que le juge Garzon est attendu au tournant ». La conjoncture politique entre les gouvernements espagnol et marocain, la presse qui l'attend au tournant ne seraient pas des atouts qui permettraient au juge en question de juger le système chérifien. Un avocat madrilène exprime son étonnement, pour sa part, et donne une autre thèse : « Je ne comprends pas le fait qu'on focalise sur le juge Garzon, puisque dans cette affaire de plainte pour génocide, il n'est pas obligatoire que se soit exclusivement Garzon qui instruise le dossier. On ne sait pas encore qui a été choisi pour le faire. Enfin, quant à l'affaire proprement dite, avec ou sans Garzon, elle prendra beaucoup de temps pour aboutir. L'essentiel que, maintenant, elle a le mérite d'exister et symboliquement, c'est déjà un événement. » Quant à la question de savoir si je juge Garzon ira aussi loin qu'il l'a fait avec l'ETA, Pinochet, Al Qaïda et autres, M. Laabied affirme : « Nous faisons confiance à la justice espagnole, quel que soit le juge. » En ce qui concerne le chef du gouvernement marocain Driss Jettou, dans une déclaration à un confrère marocain, il a dit : « Le Maroc est un Etat de droit. Il respecte la loi. Nous défendons notre droit, notre territoire… avec un projet important sur l'autonomie qui respecte la souveraineté marocaine. » Une autre histoire… Mais ce qui est sûr, de l'avis de plusieurs spécialistes espagnols, « l'Audience nationale ne peut pas rejeter une plainte quand le procureur du même tribunal demande à ce qu'elle soit instruite. De plus, les Sahraouis disparus étaient titulaires de documents d'identité espagnols ». Cela voudrait dire : si le juge Baltasar Garzon a instruit des dossiers du Guatemala, de l'Argentine et du Chili entre autres, pourquoi devrait-il refuser celui-ci ? Là est toute la question.