Le sommet extraordinaire de l'Union européenne, qui s'est ouvert hier en fin de matinée, s'est englué dans des positions inconciliables et a carrément tourné à la discorde. Réunis pour tenter de gommer ou, au moins, atténuer leurs divisions sur l'attitude communautaire à adopter face à la guerre civile qui fait rage en Libye depuis 25 jours, les chefs d'Etat et de gouvernement des 27 n'y sont finalement pas parvenus. La France et la Grande-Bretagne ont insisté pour que l'Europe se prépare à intervenir militairement si nécessaire, alors que beaucoup de leurs partenaires au sein de l'Union ne veulent pas envisager cette option, de peur d'une escalade et d'un enlisement préjudiciable et dangereux. Avec l'Angleterre, “nous avons dit notre disponibilité” à participer à une éventuelle action militaire pour protéger les populations, a déclaré le président français, Nicolas Sarkozy, dès l'ouverture du sommet. Il a toutefois accompagné sa proposition de conditions et de précautions pour tenter de gagner des partenaires à ses vues. Ainsi, il s'agirait d'“actions ciblées purement défensives”, qui ne seraient entreprises que si le régime de Kadhafi utilise des “armes chimiques” ou un bombardement aérien massif contre la population. De plus, a-t-il précisé, cette intervention n'est envisageable qu'à “la condition express que les Nations unies le souhaitent, que la Ligue arabe l'accepte et les autorités libyennes (le Conseil national de transition, ndlr) que nous souhaitons voir reconnues le désirent”. Le premier ministre britannique, David Cameron, auteur avec Nicolas Sarkozy d'une lettre adressée jeudi au président de l'UE, a abondé dans le même sens. “Je pense qu'il est important que les pays européens fassent preuve de volonté politique, d'ambition”, a-t-il notamment conclu. Mais l'Allemagne, l'un des poids lourds de l'UE, ne l'entendait pas de cette oreille. “Je souhaite que nous envoyions aujourd'hui un signal d'unité”, a répliqué la chancelière Angela Merkel, brocardant, en termes à peine voilés, l'initiative franco-britannique. “Il ne faut pas se jeter dans quelque chose que l'on ne pourrait mener à bien. Il ne faut pas non plus agiter des menaces que l'on ne peut mettre à exécution”, avait-elle déjà averti, peu auparavant, devant ses homologues membres de l'Otan. D'autres voix se sont véhémentement élevées contre la position interventionniste de la France et de la Grande-Bretagne. C'est particulièrement le cas de la Suède qui, par la voix de son Premier ministre Frederik Reinfeldt, a rejeté toute idée d'intervention militaire dans le cadre de l'UE. “Toute discussion sur une intervention militaire relève davantage de l'Onu, de l'Otan et de la Ligue arabe”, a-t-il précisé. De même, l'initiative du président Sarkozy de revoir à l'Elysée et de reconnaître les dirigeants des insurgés comme le seul pouvoir légitime en Libye, a été fraîchement accueillie, voire clairement critiquée. Aussi, le projet de déclaration finale, qu'il est peu probable de voir évoluer à l'issue des débats, se montre prudent sur ces deux points. Le texte affirme que Mouammar Kadhafi, qui a régné sans partage sur la Libye depuis 1969, “doit quitter le pouvoir immédiatement”. Sur le plan militaire, le même texte se limite à un alignement sur la position attentiste de l'Otan , dont les ministres de la Défense se réunissaient depuis jeudi et pour deux jours, sur le même thème. La déclaration souligne le soutien de l'UE “à la poursuite des préparatifs des alliés de l'Otan et d'autres partenaires en vue d'être prêts pour fournir une assistance”, y compris pour l'instauration, le cas échéant, “d'une zone d'exclusion aérienne”. Concernant la reconnaissance du CNT, la déclaration est restée encore plus prudente, puisqu'on y lit que l'Union européenne est “prête à parler aux nouvelles autorités libyennes” pour contribuer à la reconstruction du pays. Elle salue aussi l'action du CNT et l'encourage, tout en le qualifiant “d'interlocuteur politique”, sans jamais se prononcer sur sa légitimité comme l'ont souhaité la France et la Grande-Bretagne. C'est dire combien ces deux pays, en pointe sur ces deux questions centrales, se sont positionnés en porte-à-faux avec leurs partenaires européens, faisant éclater leurs divisions au grand jour.