L'Union européenne est entrée dans l'une des crises majeures de son existence, c'est du moins l'impression qui se dégage à l'issue du sommet européen de deux jours qui s'est tenu à Bruxelles jeudi et vendredi derniers. Elle aura été marquée par le bras de fer entre le président Jacques Chirac et le Premier ministre britannique, Tony Blair. La rencontre des chefs d'Etat et de gouvernement a achoppé sur les comptes du budget européen 2007-2013. Et beaucoup, dont le Premier ministre luxembourgeois Jean-Claude Juncker, qui assure la présidence de l'union jusqu'au 30 juin, imputent l'échec du sommet à Tony Blair qui s'est montré intransigeant sur la question du rabais britannique acquis par Margaret Thatcher en 1984, face notamment au président français, Jacques Chirac, qui a défendu « bec et ongles » la politique agricole commune (PAC) qui représente 40 % du budget européen et dont la France est l'un des bénéficiaires. Le Premier ministre britannique a su gagner à sa cause, face au bloc franco-allemand, les plus grands contributeurs nets que sont les Pays-Bas et la Suède, entre autres, désireux d'apporter encore moins au « pot » européen, et de façon inattendue la Finlande et l'Espagne. « L'Europe est dans une crise profonde », a déclaré M. Juncker, ébranlé par 14 heures de négociations acharnées, en constatant dans la nuit l'incapacité des 25 à s'entendre sur son projet de budget de 870 milliards d'euros sur sept ans. « Après-demain, nous irons à Washington pour expliquer en détail au président des Etats-Unis la vigueur et la force de l'Europe », a-t-il ironisé, en allusion au rendez-vous qui l'attend lundi à la Maison-Blanche avec George W. Bush. Des propos qui ne traduisent pas moins la posture - assez inconfortable, faut-il le souligner - dans laquelle se trouve l'Europe communautaire depuis la fin du sommet de Bruxelles. « L'Europe connaît une crise grave », a renchéri M. Chirac, critiquant « l'égoïsme affiché par deux ou trois pays ». « Un accord aurait été possible. Le fait qu'il n'y en ait pas eu est uniquement dû à la position inflexible des Britanniques et des Néerlandais », a dénoncé M. Schröder. « Ces pays ont une responsabilité devant l'histoire européenne », a-t-il accusé. « La vraie raison pour laquelle on n'a pas eu une réussite, c'est que certains Etats membres font primer leur intérêt national sur l'intérêt européen », a déploré le Premier ministre belge, Guy Verhofstadt. « Personne n'a perdu, personne n'a gagné... Il ne faut pas dramatiser. L'Europe continue d'exister », a relativisé l'Italien Silvio Berlusconi. « C'est un moment de renouveau », a affirmé sans regret M. Blair à l'issue du sommet, appelant l'Europe à « changer de vitesse » pour « s'adapter au monde ». Le chef de la diplomatie britannique, Jack Straw, a enfoncé le clou en décrivant samedi une Europe « divisée » entre ceux tournés vers l'avenir et les autres, « englués dans le passé ». La tentative la plus symbolique de conciliation est venue de la Pologne et des neuf autres pays de l'élargissement, qui ont proposé à la dernière minute de rogner sur des aides pourtant essentielles à la mise à niveau de leurs économies. Jean-Claude Juncker a confié sa « honte » devant une situation décrite par M. Chirac comme « pathétique ». L'échec du sommet risque d'aggraver considérablement la crise ouverte par le rejet massif de la Constitution en France et aux Pays-Bas. Les dirigeants de l'UE ont exclu à Bruxelles de renégocier le traité mais ils ont décidé de prolonger jusqu'en 2007 sa ratification pour contrecarrer la dynamique du non dans les autres pays. Cette décision a entraîné le report d'une demi-douzaine de ratifications (Danemark, Suède, Finlande, Portugal, République tchèque, Irlande). Tony Blair semble donc avoir marqué des points face au duo franco-allemand incarné par Chirac et Schröder au moment où il s'apprête à assumer la présidence de l'union européenne pour les six prochains mois à partir du 1er juillet.