Il livre dans son ouvrage un récit émouvant, dur et parfois drôle sur son quotidien de clandestin à Paris. Il nous met devant les yeux tout un système qui exploite et traite ces hommes avec cruauté. Liberté : Pourquoi avoir écrit ce livre ? Majid Bâ : C'était une thérapie. Je me suis réapproprié ma personnalité en écrivant. Aussi je voulais mettre à nu la réalité de ces gens qui vivent dans l'ombre. Dans les médias, on ne voit que le sans-papiers qui fait des problèmes, on ne dit pas qu'il se lève tôt pour aller travailler, qu'il n'a pas de droits. Quel est le sens du titre de votre livre, la Sardine du cannibale ? Je ne voulais pas un titre du type immigré clandestin. Je trouvais ça péjoratif. Je voulais un titre en rapport avec le contenu. La sardine, c'est moi, le sans-papiers exploité par le cannibale qui est l'administration, le patron ou le médecin. On pourrait croire que les étrangers s'entraident, mais ce n'est pas toujours le cas… Des gens autour de moi ont encaissé mes chèques, mes paies en entier sans que je n'en vois la couleur. Mais le sans-papiers n'a pas le choix et se laisse bouffer par tous ces cannibales. Comment parvient-on à tenir face à tant de difficultés ? J'ai tenu grâce à mon éducation, aux valeurs que mes parents m'ont inculquées, comme la patience. Je croyais en mon destin et je ne voulais pas décevoir ma mère, ma famille. Est-ce qu'à un moment vous vous dites “je rentre au Sénégal” ? Jamais. Si je repartais, j'aurais échoué. Je n'étais pas un homme. Ça ne m'a jamais effleuré l'esprit. Je préférais souffrir, mourir en France, plutôt que de rentrer. D'ailleurs, c'est le problème des sans-papiers ; ils n'ont pas le choix, c'est la honte de rentrer sans rien. Que dites-vous aux jeunes qui veulent venir en France ? Je ne leur dirai pas de venir ni de ne pas venir. Je leur dirai de lire mon livre. C'est le but d'ailleurs. Si vous êtes assez fort pour affronter ce que j'ai vécu, allez-y. Si vous n'êtes pas assez solide psychologiquement, ce n'est pas la peine de venir, vous serez perdus. Je ne décourage personne, les gens devraient pouvoir aller là où ils le veulent. Pourquoi les Occidentaux voyageraient-ils et pas les pauvres ? Il y a beaucoup d'hypocrisie. On ferme les frontières mais on soutient des dictateurs qui pillent les richesses de leur pays. Comment veulent-ils que cette jeunesse n'immigre pas ? F. A. Majid Bâ, la Sardine du cannibale, éditions Arcane 17, Paris, 15 euros.