Comment lire cet auteur aujourd'hui ? Comment appréhender son œuvre ? Comment saisir son écriture autrement que sous un prisme purement idéologique ? Comment rendre justice à un écrivain dont l'œuvre majeure n'est pas suffisamment visible ? Ce sont là quelques-unes des interrogations auxquelles Rachid Mokhtari a tenté de répondre dans son essai. “Je le dis et le redis encore : donner à lire Tahar Djaout, le compagnon, l'ami et le journaliste, l'homme éblouissant et drôle, exigeant, discret, attentif et plein d'esprit. Donner à lire comme donner à voir ‘un peu plus' que la simple vision, à entendre, écouter et relire encore une fois l'écrivain et son œuvre, le conteur, l'homme engagé par son désir d'écriture, certes, mais surtout de poésie”, écrit Nabile Farès dans sa préface de l'essai Tahar Djaout. Un écrivain pérenne de Rachid Mokhtari. Mais si on n'a été ni le compagnon, ni l'ami de Tahar Djaout, comment le lire aujourd'hui ? Parviendrait-on à saisir toute la complexité de son œuvre juste à travers son écriture ? Pourrait-on cerner sa réflexion, ses grandes passions d'écrivain, sa vocation pour la poésie, sa fascination pour l'Homme, son engagement esthétique ? Arriverait-on à comprendre l'homme à travers son œuvre ou alors finirait-on par adhérer à l'idée selon laquelle l'œuvre est indissociable de l'homme ? Rachid Mokhtari essaie de répondre à ces interrogations en nous introduisant dans l'univers djaoutien à travers l'étude de cinq romans qui deviennent des corpus dans la démarche universitaire qu'a adoptée l'essayiste. Ainsi, il propose des lectures de Chercheur d'os, le Dernier été de la Raison, l'Invention du désert, les Vigiles, et l'Exproprié, l'œuvre la plus complexe de Djaout tant sur le fond que sur la forme (éditée en Algérie puis réécrite et éditée en France aux éditions le Seuil). Rachid Mokhtari lance, dans son avant-propos quelques bribes, des informations savamment distillées. Ainsi, on apprend qu'il n'y a pas de “nostalgie dans les personnages djaoutiens” qui sont “iconoclastes”, “qu'ils ne vivent pas dans le passé”, que la mémoire est en mouvement chez Djaout et qu'il arbore “une écriture de la désorientation à tous les niveaux du texte”. L'essayiste défend également (et avec force) le postulat selon lequel Tahar Djaout aurait écrit le même roman, car son écriture est traversée par les mêmes questionnements, la même quête, la même manière de concevoir le réel et de l'appréhender. Par contre, l'évolution est dans l'esthétique, dans la forme. En outre, Rachid Mokhtari situe historiquement Tahar Djaout dans une sorte de rupture par rapport aux “Nouveaux nouveaux-romanciers”, mais également comme un précurseur de la Nouvelle génération d'écrivains. Toutefois, même s'il s'inspire du réel, Tahar Djaout a produit, d'après l'essayiste, des romans surréalistes “par la perversion du signe, les télescopages spatio-temporels, le couplage brouillé entre l'histoire collective et l'histoire individuelle et, surtout, la proximité ou la contiguïté manifeste entre l'univers poétique (…) et le monde carcéral.” D'autre part, on apprend dans cet ouvrage détaillé -qui pourrait gâcher la lecture à ceux qui n'ont encore jamais lu Tahar Djaout- que la mémoire dans cette œuvre dense, lyrique et complexe, est en mouvement. Rachid Mokhtari inscrit l'œuvre dans une complexité : car “elle ne s'intéresse pas à un seul segment de la société (le religieux, le politique, le social ou l'histoire), elle est essentiellement dans la complexité de la réalité”, note-t-il, tout en mettant l'accent sur “la difficulté de produire du sens quand la mémoire est triturée”. La démarche empirique de Rachid Mokhtari permet de mieux lire et comprendre la portée de l'œuvre de Tahar Djaout, même si le journaliste a pris parfois le dessus sur l'universitaire, et l'admiration que porte l'essayiste à l'écrivain n'a pu être cachée. Mais l'ouvrage donne des détails importants et nécessaires à la compréhension d'une œuvre majeure marquée par la recherche d'une écriture, d'une forme, d'une esthétique, d'un sens…d'une langue. Une langue renouvelée, belle et moderne…et éternelle. Sara Kharfi Tahar Djaout. Un écrivain pérenne de Rachid Mokhtari. Essai, 244 pages. Editions Chihab. 450 DA