Au moment où près de 1,2 million de constructions restent inachevées, la plupart des équipements publics ou privés, dont des écoles, des universités, des centres commerciaux et même des hôtels, ne possèdent pas d'acte de propriété ni de certificat de conformité. Sur les 9 millions de logements au niveau national, 1,5 million sont inoccupés. Le Collège national des experts architectes, qui compte quelque 800 adhérents, finalise un document volumineux dans lequel il fait le bilan du secteur de l'habitat sur une période de 50 ans. Il découle de deux années de recherche et de collecte d'informations. Les résultats de ce travail ne sont pas encore rendus publics. Le président du Cnea, Abdelhamid Boudaoud, donne toutefois quelques chiffres et éléments qui démontrent que le secteur de l'habitat a besoin de profondes réformes. Sa crise ne se limite pas seulement à celle du logement, même si elle en constitue le segment le plus important. Le 23 avril 1977 est institué le premier ministère algérien de l'habitat. Depuis cette date, 25 ministres se sont relayés à la tête de ce département. “Tous les ministres ont pris leurs fonctions avec l'objectif de construire un maximum de logements dans l'urgence, mais sans jamais mettre en place une stratégie nationale”, commente M. Boudaoud, avant de commencer à égrener ses statistiques et quelques vérités. Il indique qu'“en 1962, l'Algérie comptait 1,9 million d'habitations pour une population de 9 millions de personnes. En 2010, le parc immobilier a atteint le chiffre de 7 millions d'unités pour 36 millions d'habitants. Théoriquement, la courbe des logements évolue presque parallèlement à celle de la population. Pourquoi alors les algériens continuent à être mal logés ou peinent à accéder à la propriété immobilière ?” Il n'y a pas de crise de logement en Algérie. “Le problème est dans la mauvaise gestion de l'habitat et surtout la mauvaise répartition des programmes de construction”, estime le président du Cnea. Les exemples de cette gabegie sont légion. M. Boudaoud rappelle qu'en 1986 les autorités compétentes ont procédé au recensement de tous les bidonvilles existant sur le territoire national. “Une partie de la population de ces bidonvilles a été sommée de retourner à la wilaya d'origine. Le reste a été relogé. Il en est résulté un certain équilibre entre ville-campagne jusqu'à 1990. À partir de là, le phénomène a réapparu”, témoigne notre interlocuteur. Le problème est devenu dès lors inextricable. La demande sur le logement social locatif ne cesse d'augmenter, en dépit de grands programmes de construction. Selon le président du Cnea, il est temps de faire une halte et d'auditer les organismes publics qui interviennent dans ce segment, à savoir les 53 OPGI (Office de promotion et de gestion immobilière), 48 DUC (Direction de l'urbanisme et de la construction) et les APC. Il faudrait aussi enquêter sur le 1,5 million de logements inoccupés et penser à une formule pour les réinjecter dans le marché de l'immobilier. Il y a lieu, en outre, de mettre de l'ordre du côté des acteurs dans le domaine. 34 000 entreprises de construction sont théoriquement opérationnelles dans le secteur de l'habitat. Uniquement 1 400 d'entre elles sont garanties auprès du Fonds de garantie et de caution mutuelle de la promotion immobilière (FGCMPI). 4 035 ingénieurs dans le bâtiment sont agréés par le ministère de l'Habitat et de l'Urbanisme. Si en 1976, le pays ne disposait que de 111 architectes, dont 61 sont des étrangers, il en compte aujourd'hui 12 000 diplômés. Dans le lot, 7 000 sont agréés. “La pâte existe, mais pas la responsabilité”, regrette M. Boudaoud. Le marasme du secteur de l'habitat ne se circonscrit pas à cette limite. Le paysage urbain est altéré par la multitude de constructions laissées dans la nudité de la brique. “Nous confirmons fortement que si les collectivités locales avaient rempli pleinement leurs missions telles que le recommande la loi, et si parallèlement la société civile avait agi au moment opportun pour remédier à temps aux nombreuses anomalies, nous n'en serions pas arrivés à ces fâcheuses conséquences en termes d'urbanisme et du cadre bâti, ni contraints à recourir à de nouvelles lois pour assainir la situation”, assène M. Boudaoud. Des quartiers entiers, à l'instar de celui d'El-Hamiz ou du marché Djorf, sont sortis de terre et n'ont connu, au fil des années, aucun embellissement de façades. Notre interlocuteur affirme que 1 780 000 bâtisses, inachevées, ont été comptées dans l'ensemble du pays. En juillet 2008, les pouvoirs publics réagissent à ce phénomène par la promulgation de la loi 08-15 sur la régularisation des bâtisses inachevées. À deux années de l'expiration de ce texte législatif, les propriétaires ne se bousculent pas pour se mettre en conformité avec ses dispositions. Le pire est dans l'édification d'habitations ou carrément d'ensembles architecturaux sans acte de propriété ni permis de construire ou certificat de conformité. Il en est ainsi, selon l'étude du Collège national des experts architectes, de la plupart des établissements scolaires, de certaines universités comme celles de Bab-Ezzouar ou de Constantine, du complexe sportif du 5-juillet, du centre commercial de Chéraga (El-Qods)… et d'un hôtel inauguré récemment par le ministre de l'Habitat et de l'urbanisme. Edifiant. “300 Zhun (Zone d'habitat urbaine nouvelle) existent dans le pays. Aucune ne possède un acte de propriété, de permis de construire ou de certificat de conformité”, complète-t-on.