Qui et pourquoi maintenant ? L'attentat kamikaze de Marrakech vise l'économie touristique du Maroc et intervient au moment où le pays bruite des réformes politiques qui s'inscrivent dans le sillage du Printemps démocratique arabe. Un attentat pour frapper les esprits au Maroc et à l'étranger. Au-delà du bilan humain, cet évènement dramatique a réveillé chez les Marocains le spectre des attentats kamikazes de 2003 à Casablanca, qui avaient fait plus de 45 morts et fragilisé l'économie touristique. Des kamikazes issus des bidonvilles de Casablanca avaient visé des cibles soigneusement choisies dans la capitale économique du royaume : un hôtel et un restaurant accueillant des clients internationaux, le bâtiment de l'alliance israélite et le cimetière juif de la ville, ainsi que le consulat de Belgique. Huit années plus tard, cette réplique dans la capitale touristique du royaume chérifien constitue un nouveau coup dur pour le tourisme marocain, traditionnel moteur économique du pays. Le produit intérieur brut touristique du Maroc s'élève à environ 6 milliards de dollars et le secteur de l'industrie touristique emploie un demi-million de personnes et autant indirectement. Le Maroc a accueilli près de 9 millions de touristes en 2010. Le coup sera d'autant plus durement ressenti que ce moteur montre des signes d'essoufflement depuis le début de l'année, victime collatérale des révolutions dans le sud de la Méditerranée, notamment chez les voisins tunisiens et égyptiens, eux aussi fortement dépendant du tourisme. Surtout, cet attentat intervient 5 mois après la mise en orbite par le roi Mohammed VI de “Vision 2020”, un méga plan d'investissement qui vise à doubler la taille du secteur touristique d'ici dix ans afin de hisser le Maroc parmi les 20 premières destinations mondiales. Doté d'une enveloppe de près de 2 milliards de dollars, ce plan prévoit la création de six nouvelles destinations, en plus de Casablanca et Marrakech, qui drainent à elles deux 70% des nuitées internationales. Le moment de l'attentat est évidemment particulier. Le Maroc, comme l'ensemble du monde arabe, fait face à l'onde de choc des Révolutions du Jasmin et du Nil qui ont balayé les dictatures de Ben Ali et de Moubarak et à l'œuvre en Lybie, au Yémen et en Syrie. Le Maroc est, lui aussi, activement travaillé par une poussée démocratique de sa population, particulièrement de sa jeunesse. Depuis le premier appel à manifester le 20 février, des rassemblements relativement importants se sont déroulés dans la plupart des grandes villes du pays, tandis que Mohammed VI réagissait en lançant un vaste programme de réformes politiques, Il a promis la mise en chantier d'une vaste réforme constitutionnelle. Dans un discours solennel, prononcé le 9 mars, Mohamed VI a annoncé des mesures visant à renforcer le pluralisme politique, les droits de la personne et les libertés individuelles, l'indépendance de la justice, ainsi que le rôle des partis politiques. Le roi a libéré, le 19 avril, 190 prisonniers politiques, parmi lesquels 14 salafistes, dont Ahmed Fizazi, idéologue de la Salafia Jihadia, condamné à trente ans de prison pour avoir inspiré les attaques terroristes du 16 mai 2003. Mais le mouvement islamiste estime que ces mesures sont insuffisantes. Le 20 avril, il tenait un sit-in avec plusieurs organisations locales devant le CNDH (Conseil national des droits de l'homme) pour appeler à la libération de tous les prisonniers politiques. Reste que depuis deux mois, le mouvement démocratique qui revendique jusqu'à une monarchie constitutionnelle (du type de celle en vigueur chez le voisin espagnol) a été pacifique. Les manifestations marocaines, pour les libertés et les changements démocratiques, n'ont pas suscité d'incidents majeurs, contrairement à ce qui a pu se passer dans d'autres pays arabes. La semaine dernière, encore, la journée de protestation avait réuni des milliers de personnes, notamment à Rabat où le cortège a choisi, pour la première fois, de défiler dans les quartiers populaires restés largement à l'écart jusque-là, du mouvement de protestation. Des milliers de manifestants s'étaient regroupés à Yaâcoub al-Mansour pour défiler jusqu'au quartier populeux d'Al-Qamra, où s'est terminée la manifestation environ trois heures plus tard. Le long de la marche, de leurs fenêtres, les r'batis ont salué les manifestants du fameux geste de la victoire des membres du mouvement. Aucune menace de recours à une violence terroriste n'avait été proférée jusqu'ici, ce qui fait dire à des spécialistes que l'attentat de Marrakech paraît plus susceptible d'entraver l'action de la société civile regroupée au sein du mouvement des jeunes du “20 février”. Pour l'heure, tous les regards convergent vers AQMI. Au Maroc, les autorités, estimant tous les signes de l'attentat, de son mode opératoire à qui profite le crime, l'attribuent à Al-Qaïda au Maghreb islamique. Citant une source proche des services de sécurité, le site Lakome.com rapporte que le kamikaze a été libéré de prison il y a deux mois après avoir été condamné à huit ans de prison pour viol. Hervé de Charette, ancien ministre français des AE, membre de la Commission des AE de l'Assemblée nationale française, a établi un lien avec l'intervention de l'Otan en Libye. Selon lui, “on ne peut pas exclure que du côté des autorités officielles libyennes, il y ait des actions en sous-main pour tenter d'ouvrir d'autres fronts” ou de “créer des tensions dans le monde arabe”. Quoiqu'il en soit, et bien que beaucoup de possibilités soient sur la table concernant les auteurs possibles de l'attentat, il est à rappeler que la France joue le rôle de la mouche dans la crise libyenne. Pour reprendre l'expression du ministre de l'Intérieur de Sarkozy, Guéant, à qui, soit-dit en passant, l'anti arabe et l'ultra islamophobe Marine Le Pen, a offert une carte de membre d'honneur de son parti, le sulfureux mais néanmoins dangereux Front national : la France mène en Lybie coincée entre la Tunisie et l'Egypte en post-dictature, l'Algérie, le Niger et le Tchad, une “croisade”. Rien que ça !