La commémoration du 8 mai 1945 a donné lieu à une effervescence soutenue autour du thème de la mémoire. Tous les jours de la semaine, des dirigeants du FLN, qui ont soustrait le symbole d'un mouvement national de libération pour en faire un appareil de monopole et de conservation du pouvoir, appellent à la criminalisation législative de la colonisation ; jeudi, beaucoup d'entre eux prennent d'assaut la première classe du vol Alger-Paris ou Alger-Genève pour le dernier bilan médical ou le dernier solde bancaire. Après cinquante ans d'historiographie arbitraire, à l'occasion révisée pour le besoin du régime de l'heure, il est question d'écrire l'Histoire de notre révolution pour que les générations futures s'en inspirent. Du moins, c'est le refrain qu'on nous ressasse, à la moindre circonstance commémorative, à partir du ministère des Moudjahidine et de l'ONM. Mais des générations sont nées, ont grandi et ont, en partie, disparu depuis l'indépendance : pourquoi avoir attendu cinquante ans pour leur ouvrir le livre de l'histoire qui devait les inspirer ? Qu'ils reviennent d'Afghanistan, où certains d'entre ont pensé devoir aller se ressourcer ? L'histoire décrétée et, donc, forcément adaptée, arrange qui ? Un Etat-système qui, depuis un demi-siècle, impose son empire par le pouvoir qu'il a de dicter, de manière autoritaire et unilatérale, l'énoncé de ce que fut l'histoire de l'Algérie. Brandissant la menace tacite et permanente de vouer aux gémonies toute voix discordante, le système enterre Messali Hadj quand il veut et l'exhume quand il veut, au gré des nuances sentimentales, régionalistes et claniques de ses régimes successifs. Ce que le discours unique prescrit, c'est donc cela l'Histoire. Il suffit de se souvenir du lynchage parlementaire dont le fils du colonel Amirouche fut victime parce qu'il osa proposer que le chiffre du million et demi de chouhada pouvait être discutable. L'émotion de nos patriotes a toujours été moins grande quand il fut question de faux moudjahidine. L'imposture historique est bien plus tolérable que la critique de l'histoire officielle. Il est moins risqué de mentir sur son passé que de dire une vérité sur le passé ! Y a-t-il plus grave révisionnisme que d'avoir réduit, pour des raisons finalement alimentaires, le symbole de la lutte de libération nationale à un appareil de pouvoir qui octroie l'autorité d'allocation de la rente pétrolière. Le FLN de combat a-t-il quelque chose à voir avec le FLN de rapine pour que ses occupants se permettent de dicter la morale de l'écriture de l'Histoire ? L'argument de “ce n'est pas encore le moment” a des relents de consensus pour le silence, de sainte alliance : entre nous, on peut se disputer le pouvoir, la vérité, la légitimité. Mais il ne faut pas jeter le débat dans la rue, à portée du peuple. À Béjaïa, un musée fin prêt attend “le feu vert d'Alger”, de la centrale ONM, comme on dit en province, avant de se déclarer ouvert. Voyons comment on a vite fait d'organiser l'étouffement de la polémique entre Louisette Ighilahriz et Yacef Saâdi ! Des fois que les langues, irritées, se délient plus que de raison. Et si la fièvre monte, c'est que 2012 approche et que de l'autre côté de la Méditerranée, la France sera contrainte de nous ouvrir ses archives. Il y a ceux qui s'en réjouissent déjà, mais apparemment, pas mal qui s'en inquiètent. M. H. [email protected]