On peut observer depuis un an des inflexions mais aussi des facteurs d'incertitude non encore levés dans la mise en œuvre de la stratégie énergétique du pays. Je commencerai par les inflexions de la stratégie apportées, disons en gros depuis l'arrivée de Youssef Yousfi à la tête du secteur, avant d'aborder les aspects d'incertitude voire même d'inertie qui y persistent encore. Avant de caractériser les inflexions apportées, j'observe qu'il est toujours délicat de faire bouger les lignes dans le secteur énergétique car les déterminants en sont souvent gravés comme dans du marbre : cadre institutionnel et réglementaire, engagements contractuels déjà pris avec des partenaires internationaux et structure du domaine minier par exemple. Néanmoins, des changements sans rupture sont possibles. D'abord, rappel de quelques faits illustrant l'état du secteur en 2010. Les données statistiques du bulletin n° 572 de l'ONS sont pertinentes du point de vue de l'analyse car elles donnent l'évolution de la production en volume (base 100 en 1989) effaçant ainsi les effets prix qui peuvent masquer la réalité. Ainsi, on peut y relever que la production d'hydrocarbures en 2010, rapportée à celle réalisée en 2009, a reculé de -2,1%. Fait plus préoccupant, Said Sahnoun, vice-président amont de la Sonatrach, nous apprend que le taux de renouvellement des réserves n'a été que de 50% en 2010. En d'autres termes, il a été découvert 92 millions de tep mais il en a été produit le double dans l'année considérée. C'est à ce niveau qu'apparaît une première inflexion de la démarche : renouveler plus rapidement et en plus grandes quantités les réserves d'hydrocarbures et mieux maîtriser les profils d'exportation. Ainsi, les dépenses d'investissement amont seront pratiquement doublées. L'objectif d'exportation de 2 millions de barils/jour est abandonné pour le moment en tout cas. Dans ce cadre les volumes d'exportation de gaz naturel seront stabilisés tant qu'il n'y aura de découvertes significatives. À ce propos, les perspectives d'exploitation des gaz de schistes, dont le potentiel de réserves est estimé à 2 400 milliards de m3, se rapprochent avec l'étude de faisabilité lancée conjointement par la Sonatrach et l'ENI italienne. La deuxième inflexion observable est l'engagement déterminé dans la production d'énergies renouvelables. Un programme de long terme à l'horizon 2030 a été élaboré et approuvé en Conseil des ministres. Ce programme ambitieux de production d'électricité à partir des énergies renouvelables, essentiellement solaire “vise un objectif global 22 000 MW à l'horizon 2030, dont 10 000 pourraient être dédiées à l'exportation”. Il prévoit en même temps, rejoignant en cela la problématique précédente, “que le volume total de gaz naturel qui sera épargné sur une période de 25 ans pourrait être proche de 600 milliards de m3”. C'est en tout cas un grand pari technologique et financier sur l'avenir, car la part du solaire dans la production mondiale d'électricité n'est que de 0,1% pour le moment. S'agissant des éléments d'incertitude, il porte sur les conditions d'attractivité des investissements étrangers dans l'amont du secteur des hydrocarbures et sur le gaspillage structurel de ressources non renouvelables en rapport avec le modèle de consommation énergétique en vigueur dans le pays. Pour le premier point, force est de constater que les dispositions de la loi sur les hydrocarbures n'ont pas eu un effet attractif suffisant sur les grands groupes énergétiques internationaux. Seuls quatre permis ont été délivrés lors de la récente consultation lancée par Alnaft sans la présence du reste des plus grands opérateurs pétroliers. De plus le partenariat pour l'exploitation à grande échelle des gaz de schistes ne pourra se développer dans le cadre des dispositions de la loi actuelle sur les hydrocarbures. Je mettais en garde, lors des débats sur la révision de la première version de la loi en question, contre des dérives faussement patriotiques. Croire que des prix très élevés du baril seront durables et permettraient d'absorber toutes les restrictions mises en place est une illusion. La preuve : la semaine dernière le prix du baril de brut a perdu en une journée respectivement 8% à New York et 10% à Londres. À la New York Mercantile Exchange (NYMEX), le baril a perdu 9,44 dollars clôturant à 99,80 dollars ; la même tendance a été observée sur l'Intercontinental Exchange de Londres avec une chute de 10 dollars fixant le prix du baril de brent à 110,80 dollars. Cela n'était pas arrivé depuis la première guerre du Golfe en 1991. Sans parler des pressions à la baisse exercées sur les prix du gaz par les marchés spot. De façon pragmatique, loin des surenchères politiciennes, des aménagements devront être trouvés tôt ou tard à la loi sur les hydrocarbures. Le second front d'incertitude est relatif au gaspillage du fait de la structure des prix relatifs des carburants. Il s'agit de la diésélisation excessive du parc automobile algérien qui utilise des quantités de plus en plus importantes de gasoil importé. L'argument avancé de soutien au transport public et à l'agriculture ne tient pas la route et ne fait que masquer des transferts colossaux indus, y compris à nos frontières. Car des soutiens directs et ciblés peuvent être mis en place en direction de segments sociaux vulnérables et des activités à protéger. De la même manière le curseur devra être ajusté en matière de prix du gaz concédé aux opérateurs pétrochimiques de sorte que là aussi, dans un contexte de consommation gazière sobre, les transferts de rente soient raisonnables. Pour conclure on voit bien que dans ce domaine aussi, de nouveaux éléments de consensus doivent être reconstruits,non pas dans un contexte de compétition politique légitime du reste, mais dans une perspective partagée de promotion et de sauvegarde des intérêts stratégiques du pays. C'est un des éléments importants du compromis politique dont le pays a besoin.