Il était en forme le comédien Slimane Benaïssa, et le public aussi, nombreux malgré la pluie, à venir assister au spectacle Wel Moudja walat, jeudi et vendredi à 16h30, organisé par le Théâtre régional Kateb-Yacine de Tizi Ouzou. Sur un fond blanc, rouge et vert, une scène habillée en blanc, une horloge sans aiguilles, le comédien fait une entrée superbe pour faire renaître Babore ghrek de l'eau. Il fera une rétrospective de l'histoire de l'Algérie avec toujours un côté revendicatif, à travers ce “grand-père, cette conscience qui ne dort jamais”, mais qui devrait cette fois lever la tête, “arfaâ rassek ya ba !”, pour chasser la misère, “plus jamais ça !” L'artiste avait présenté un cocktail de ses travaux à travers un spectacle où il dénonce la malvie d'une société face à un monde qui tourne et qui nous dépasse. “Je me souviens de Babour ghrek, joué en 1981 à la maison de la culture de Tizi Ouzou, je ressens la même force”, se souvient un spectateur. Lors d'un point de presse organisé la veille de ce spectacle, Slimane Benaïssa était revenu sur son parcours en Algérie et à l'étranger. Un artiste connu et reconnu pour son talent, ici est ailleurs, sauf que, moins chez lui, puisque, dira-t-il, “je suis revenu depuis cinq ans, mais on fait tout pour m'éloigner de la scène”. “En 2006, au TNA, lors d'Alger, capitale de la culture arabe, le responsable de cette établissement me stipula son refus pour un spectacle sous prétexte que le programme est saturé jusqu'en 2012 ! Un justificatif pour le moins plausible, mais aberrant. Ma reconnaissance est celle que mon peuple me donne.” Pour Slimane Benaïssa, le théâtre doit rentrer dans une vison universelle de l'art, plutôt que d'être coincé entre nos frontières “nationales”. Pour le conférencier, en 1988 et 1993, il y avait tout pour un changement radical, mais pas l'idéologie nécessaire. Aujourd'hui, on est en train de reporter un match qui peut être, demain, plus douloureux, mais cela reste inévitable pour notre histoire. Personne ne peut arrêter ce mécanisme du changement. “Notre tragédie c'est de ne pas s'ouvrir au monde, nous vivons dans l'enfermement. On le ressent partout où on est. Ce enfermement mental reste la prison la plus dure.” Pour ce dramaturge, en matière de création artistique, on est plutôt devant une politique qui éloigne l'artiste de la scène publique, créant une distance entre lui et le public. On l'éloigne de sa mission, pouvant apporter un constat immédiat sur sa société. Une forme de rupture qui rentre dans un processus de censure qui ne dit pas son nom. Slimane Benaïssa aborda son parcours et son expérience à l'étranger où, admet-il, ce n'est pas toujours facile de travailler faute de moyens, mais, là-bas, l'œuvre est saluée pour sa vraie valeur. Et de conclure : “Mon public, je m'adresse à son intelligence, je construis une complicité avec lui, ce qui a de meilleur, puis on rit !”, une conclusion, une confession, pour un moment de bonheur partagé avec le public.