La disparition de l'Amicale des Algériens en Europe suscite les regrets du gouvernement qui peine à encadrer la communauté nationale en France. L'alternative de contrôle grâce à des associations suscitées par les autorités consulaires semble avoir tourné court. Désormais, on veut explorer le terrain religieux par le biais de la Fédération de la Grande-Mosquée de Paris (GMP) qui a organisé, jeudi à Lille, un premier rassemblement européen de 1 500 adhérents, présenté comme “historique”. “Le vecteur cultuel va constituer un cheval de bataille pour permettre à notre communauté de retrouver sa crédibilité”, a tranché le secrétaire d'Etat, Halim Benatallah, “invité d'honneur” de ce rendez-vous auquel a renoncé son collègue des Affaires religieuses. Le gouvernement français semble s'être agacé de la présence de deux ministres algériens à la réunion d'une association française qui était, en réalité, une démonstration de force à trois jours des élections du Conseil français du culte musulman (CFCM). Cette instance, créée en 2003 pour être l'interlocuteur des pouvoirs publics sur les questions relatives à l'Islam, doit renouveler, dimanche, ses instances régionales, lesquelles vont élire, le 19 juin, le Conseil d'administration et le président. Le CFCM est constitué de trois principales tendances : la GMP, porteuse de la voix de l'Algérie, le Rassemblement des musulmans de France (RMF), proche du palais royal marocain, et l'Union des organisations islamiques de France (UOIF), proche des Frères musulmans. Dalil Boubekeur a assuré, pendant deux mandats, la présidence du CFCM, en acceptant d'être désigné par le gouvernement français. Quand il a fallu passer par les élections en 2008, il a boycotté la consultation, laissant la voie ouverte à Mohamed Moussaoui du RMF. La Mosquée de Paris, tout comme l'UOIF d'ailleurs, conteste le mode de scrutin qui affecte les sièges en fonction de la surface des lieux de culte contrôlés par chacune des composantes du CFCM. “Ce mode de scrutin a mis en lumière des antagonismes, des nationalismes, des régionalismes, des choses tout à fait détestables dans ce qui voudrait être la constitution d'un culte français par définition”, analyse M. Boubekeur. “Il suffirait d'acheter un terrain de 1 000 m2 en Lozère pour avoir plus de délégués que dans 20 m2 en plein centre de Paris”, argumente le recteur, qui plaide pour une réforme du régime électoral. La réforme se traduirait, soit par l'introduction d'un facteur de pondération, soit par une présidence tournante, ou encore la constitution “d'un collège de personnalités” sur le modèle de la conférence des évêques. Une manière de faire face aux Marocains, plus actifs sur l'achat d'espaces transformés en mosquées ou salles de prière. Ils partent ainsi favoris pour garder la présidence de l'instance. D'où la décision de la GMP de ne pas boycotter le prochain scrutin. Mais “attention !” a averti M. Boubekeur. “Rien ne se fera sans la GMP. Ignorer la GMP serait irresponsable. Ce serait une injustice gratuite et une insulte à la mémoire des soldats musulmans qui, par centaines de milliers, se sont sacrifiés pour la France”, a-t-il argué. Sur les huit fédérations régionales de la GMP, celle du sud-ouest a refusé de suivre l'appel au boycott. Son président, Abdallah Zekri, n'a pas plié devant les injonctions très fermes de M. Boubekeur, ni devant le “rappel à l'ordre” de Nourredine Seddiki, autorité religieuse de la GMP, ou les objurgations “amicales” de Abderrahmane Dahmane. Ses explications lui ont valu tout de même de très forts applaudissements. Elles ont pris les allures d'un réquisitoire contre la gestion du recteur, accusé de ne pas respecter les statuts de la fédération, de ne pas avoir concrétisé les projets sur le halal, le pèlerinage de La Mecque, l'assurance-obsèques, les loisirs des jeunes. Il a dénoncé à ce propos un “mensonge” de Djamal Ould-Abbès qui a, selon lui, abandonné 800 enfants auxquels il avait promis des vacances en Algérie. Des critiques plus violentes encore ont fusé de la part de la Fédération du Grand-Est. Son représentant a évoqué une gestion “opaque”, des “esprits renfermés et improductifs en haut de la pyramide”, des “comportements humains néfastes”, “l'ignominie de certains agissements”, le “gaspillage financier” avec “des milliers d'euros dilapidés dans des outils de communication” sans effet, les “ingérences consulaires”, le “scandale du halal” et les “arnaques qui continuent” sur le pèlerinage. M. Boubekeur a essuyé ses attaques alors qu'il avait été déjà visé l'été dernier, lors d'une réunion organisée à Paris par l'ancien consul général, Abderahmane Meziane Cherif. Même minoritaires, ces critiques ont pavé d'épines le chemin qui doit mener au projet de M. Benatallah de faire de la Grande-Mosquée de Paris l'élément fédérateur de toute la communauté nationale en France. Elles ont peut-être tempéré sa joie alors que le rassemblement prenait les airs d'une fête avec les youyous des femmes venues en nombre et l'inévitable “one, two, three...”