Cette troisième rencontre nous invite à nous départir de l'idée selon laquelle l'autofiction est ce texte autocentré où l'auteur, narcissique, couche ses états d'âme. Codifié depuis 1977, l'autofiction est un genre à part entière, boudé quelque peu par l'université, mais largement consacré par l'institution des prix. Organisée par la Délégation de l'Union européenne en Algérie, et placée sous le haut patronage du ministère de la Culture, la troisième rencontre des écrivains algéro-européens, qui s'est tenue la journée d'hier à l'hôtel El-Djazaïr, a connu la participation de treize auteurs qui ont exploré, dans leurs communications, les frontières entre le réel et la fiction, sans réellement débattre de l'autofiction. Car l'autofiction est un genre littéraire, codifié au milieu des années 1970 et porté par un certain nombre d'écrivains. Ils sont nombreux les auteurs qui se sont illustrés dans ce genre (depuis les Romantiques), notamment François René de Chateaubriand, Benjamin Constant, Marcel Proust, Marguerite Duras, ou encore — des exemples plus récents — Michel Houellebecq et Frédéric Beigbeder. Il est clair que notre interface est française et qu'on ignore peu de l'autofiction en dehors de l'Hexagone. Toutefois, cette rencontre a été l'occasion de faire le point sur ce genre littéraire et d'explorer dans les littératures européennes et algériennes les limites et les frontières entre la réalité et la fiction. Articulé autour de deux axes de réflexion (“le roman personnel et le récit de fiction. Quelle place pour l'autobiographie ?” et “le Moi imaginaire, les frontières de la fiction face à la réalité”), la rencontre a donné la possibilité aux auteurs de présenter les rapports qui existent entre l'auteur, le narrateur, le personnage et même le lecteur. Une relation au monde souvent remise en question. Anouar Benmalek a été le premier à se jeter dans l'arène et à évoquer son rapport à la fiction. Pour lui, lorsqu'on se confond avec son personnage et son narrateur, “on court un certain nombre de risques, dont le moindre n'est pas celui du ridicule”, tout en estimant que “le jeu du parler de soi construit inévitablement la fiction”. De son côté, pour Riikka Ala-Harja (Finlande) l'intervention de son “Moi”, se situait “dans la structure. Elle est plus dans la langue que dans les personnages”. L'universitaire et auteure Yamilé Ghebalou-Haraoui a préféré travailler sur un corpus de quatre textes : l'Une et l'Autre de Maïssa Bey, Lui, le livre d'El Mahdi Acherchour, J'abandonne de Philippe Claudel et Vie minuscule de Pierre Michon. Elle a également choisi deux axes de réflexion : la frontière entre la réalité et la fiction, et la fonction de l'art et de la littérature. Mme Ghebalou-Haraoui a constaté que “la frontière auteur/narrateur est gommée”, et qu'il y avait “une complexité qui intervient lorsqu'on veut investir la réalité historique”. Car dans ces quatre cas, “le récit n'a pas la fonction de rassurer”. L'auteure de Liban a mis le doigt sur un point très important : le sentiment d'inconfort qui s'empare du lecteur, parce que le plus souvent l'écrivain qui se met à nu déstabilise ses lecteurs en rompant le contrat (moral) qui les lie à eux, ce qui crée un sentiment d'étrangeté. Avec Agneta Pleijel (Suède) qui a signalé que la problématique de l'autofiction était “un débat francophone”, on n'est plus dans l'autofiction, mais dans la transformation de la réalité en fiction (ou de personnalités réelles en personnages fictionnels). Marcos Giralt (Espagne) s'est intéressé à la part de soi dans la fiction. L'expérience de l'Algérie dans l'autofiction “Si vous voulez connaître la vie, passez par le détour du roman”, a souligné Hamid Grine, qui a fait une brève intervention mais pleine de détails qui nous permettent de ne point concevoir la fiction sans l'apport du réel. L'auteur de Parfum d'Absinthe est revenu sur sa propre expérience, lui qui a mis une bonne part de lui-même dans son roman, La Dernière prière. Dans son intervention, Amin Zaoui a évoqué son bilinguisme et l'ancrage de sa littérature dans une sorte de contradiction, car son but est de “casser les tabous” et de s'inscrire dans la lignée (entre autres) de Mohamed Choukri. En outre, lors de cette première partie des débats, c'est le thème de la littérature qui a été débattu et non celui de l'autofiction. Si elle reste mal perçue par certaines institutions, à l'exemple de l'université, l'autofiction qui est portée par la critique et par les prix, est “un dédoublement, une conscience de l'écriture”, qui exacerbe le fort sentiment de culpabilité dans un monde où les belles idées du siècle dernier sont derrière nous, et où la notion de l'identité est fortement présente.