La question du logement est au cœur de la mal vie que connaît la société algérienne et singulièrement la jeunesse et les couches sociales les plus défavorisées. L'accès au logement constitue avec l'emploi la revendication principale du mouvement social mais c'est aussi la première menace à la cohésion sociale. Cette crise s'est aggravée au fil des décennies par défaut de bonne gouvernance. Nous allons voir que, depuis l'indépendance du pays, l'absence d'anticipation démographique et sociologique a été la première cause profonde de l'aggravation de la situation. Ensuite se sont ajoutées une crise de gouvernance de l'urbanisme et celle de la gestion du cadre bâti. La question de la disponibilité des ressources financières n'en a été que la cause secondaire ; et encore dans des périodes historiques bien précises.Ainsi j'ai souvenance, lors de la décennie 70 d'industrialisation accélérée , des réactions de rejet par les autorités régionales des projets de construction de villes nouvelles à proximité des grandes zones industrielles d'Arzew et de Skikda notamment. Ceci pour prendre en charge et harmoniser la relation habitat et travail. Un wali craignait même à l'époque qu' " Oran ne soit dépeuplée " si un tel projet venait à voir le jour. Du coup on s'est mis à installer des immenses camps de préfabriqués qui risquent aussi de se transformer un jour en " habitat précaire ". A ce défaut d'anticipation démographique et sociologique s'est ajoutée un phénomène d'exode rural et d'urbanisation non maîtrisés. Ainsi il faut savoir que la population urbaine est passée de 18% en 1954 à 42% en 1966 et à 49% au recensement de 1987. Après la décennie 90 du terrorisme, nous ne sommes probablement pas loin du chiffre des deux tiers d'algériens vivants dans les villes. Larbi Icheboudene, professeur de sociologie urbaine à l'Université d'Alger va plus loin en indiquant que " l'Algérie est urbanisée à plus de 70% ". Quelques chiffres permettent d'illustrer l'ampleur du déficit cumulé en la matière. En douze ans, entre 1967 et 1978, seuls 379 000 logements ont été réalisés soit 31 000 logement par an. Entre 1980 et 1984 il a été réalisé 434 000 logements. Cet effort relatif fait pour répondre à une explosion démographique que l'on n'a pas vu venir a été stoppé par la crise financière que j'évoquais plus haut. Enfin, en rupture avec le modèle de famille traditionnelle, la " nucléarisation " des ménages urbains a considérablement élargi la demande de logement. La grave crise financière de 1986 a plombé par la suite toute velléité d'engager un vaste programme d'habitat. Cela d'autant que le programme d'ajustement structurel qui s'en est suivi dans la décennie 90 exigeait une coupe sombre dans les budgets sociaux. C'est dans cette période d'incapacité de l'Etat à honorer son contrat social, en matière d'habitat notamment, que la loi 86-07 du 4 mars 1986 sur la promotion immobilière est intervenue pour ouvrir cette dernière au secteur privé. Cette orientation libérale a été ensuite confirmée par la loi 90-29 du 1er décembre 1990 relative à l'aménagement et à l'urbanisme qui a donné les mêmes droits aux promoteurs publics et privés. Et enfin, allant dans le même sens, le décret législatif 93-03 du 1er mars 1993 relatif à l'activité immobilière introduisait la vente sur plans. A cette crise de gouvernance résultant d'un manque d'anticipation est venue s'ajouter une crise de gouvernance en matière d'urbanisme, de conduite et de réalisation des programmes d'habitat et enfin de gestion de l'affectation des logements construits au profit bénéficiaires. A l'évidence les outils et les ressources humaines dédiés au niveau local et national pour conduire les programmes actuels sont asymétriques. On ne peut utiliser le même appareil et les mêmes ressources qui initiaient et supervisaient au maximum la réalisation de 200 000 unités dans la décennie 90 pour conduire des programmes d'habitat de 2 millions de logements pour la décennie 2005-2014, c'est-à-dire dix fois plus importants. Cette asymétrie engendre des problèmes de corruption par insuffisance de contrôle et de suivi (1,2 millions de bâtisses inachevées), le non respect des normes urbanistiques avec des plans d'occupation des sols (POS) inexistants ou mal appliqués par les communes concernées et enfin une répartition des logements contestée régulièrement par une partie de la population. Cela sans parler de la spéculation sur le ciment alors que l'on aurait dû engager au préalable ou parallèlement un programme industriel de construction de cimenteries puisque les facteurs de production sont abondants et à bon marché chez nous : énergie et calcaire. Les Assises nationales de l'urbanisme tenues les 19 et 20 juin dernier ont probablement identifié l'ensemble des éléments constitutifs de la crise de gouvernance de la chaîne du logement et du cadre bâti. La visite en Algérie de la rapporteuse spéciale des Nations Unis sur le " logement convenable " le mois de juillet 2011 sera l'occasion de nous référer et de nous comparer aux standards internationaux en la matière. Dans ce domaine, comme dans tant d'autres la démarche consistant à initier les solutions par le bas me parait la plus féconde (bottum up). A cet égard la concertation nationale que conduira le Conseil national économique et social (CNES) au niveau local traitera certainement de cette question sensible avec les acteurs concernés (APC, mouvement citoyen, associations, administrations). Déjà les Premiers Etats généraux de la société civile tenus les 14,15 et 16 juin dernier ont annoncé la couleur. Leur Atelier " système de protection et solidarité nationale : les conditions de sa pérennité et de sa durabilité " insiste dans ses recommandations sur " la nécessité d'associer la société civile à tous les échelons (communal, wilayal) à la faveur d'avantages sociaux (logement, aide sociale etc..) ". La transparence et l'application du principe de subsidiarité sont un pas important vers une bonne gouvernance. C'est à notre portée, mais il faudra faire vite.