Celui qui ne sait pas faire preuve d'amour à la femme bien-aimée ne saura jamais comment mener les grandes guerres. Les guerres des justes et de justice. Celui qui ne sait pas admirer la magie de la beauté ensommeillée au fond du regard de sa bien-aimée ne saura jamais comment définir la beauté de sa patrie. Les écrivains algériens et maghrébins évitent, consciemment ou inconsciemment, l'écriture sur la civilisation du corps féminin. Beaucoup d'hypocrisie dans le discours romanesque, à l'image de celle qui ronge la vie sociale montée sur la fausseté et les mensonges. Dans le discours romanesque algérien, l'image de la mère El Hadja, dans sa dimension morale et religieuse, remplace celle de l'amante. La mère chasse l'aimante. Dans le roman algérien, par conviction ou par hypocrisie, qu'importe, l'amour d'Allah confisque toutes les places présumées consacrées aux autres amours, aux autres amants. Allah des musulmans est le seul aimant ou amant, peu importe, permis et toléré. À lui seul, l'Algérien a le droit de faire, et solennellement, sa déclaration d'amour. On demande à un Algérien qu'est-ce l'amour : il répond : l'amour c'est aimer Dieu. L'amour c'est aimer la patrie. L'amour c'est aimer la mère El Hadja. Hypocrisie ! Il n'ose jamais dire que l'amour c'est aimer sa femme, sa bien-aimée. La femme de sa vie. Notre mémoire est faite dans l'hypocrisie religieuse et noyée dans un brouillard intellectuel. Le machisme social et culturel. Si des littérateurs classiques maghrébins et arabes, certes historiquement marginaux ou marginalisés, nous ont légué un patrimoine remarquable en poésie d'amour, notre littérature contemporaine demeurera pauvre en matière d'écriture sur l'amour. L'écrivain algérien, maghrébin ou arabe qui revendique le droit au patrimoine littéraire de Imru al Kais, Omar Ibn Abi Rrabiä, Abou Nouas, ibn Kozmane, Mohamed et Boumediene Bensahla (père et fils), Al Khaldi, Si Mohand Ou M'hand, Les Mille et une nuits, Le Pain nu de Choukri, La Répudiation de Boudjedra… et qui n'a pas le courage de décrire le paradis corporel de la femme bien-aimée ne foulera jamais le paradis d'Allah. Je constate que la bibliothèque littéraire algérienne, maghrébine ou arabe, est miséreuse ou misérable en livres d'amour : roman, poésie et essai. De gauche à droite, j'écris. Et ma mère me dit: c'est le chemin du Satan. De droite à gauche, j'écris. Et El Hadja ma mère me dit : c'est le chemin du paradis. Je n'ai pas trouvé de paradis ni croisé Satan. Et je relis le mythe de Sisyphe. Celui qui n'ose pas prier le corps de sa bien-aimée, n'arrivera jamais à le “faire-vrai” à son dieu. L'écrivain qui ne parvient pas à célébrer l'amour par la langue libre, par le discours littéraire moderne, ne saura jamais l'accomplir-vrai pour sa patrie, ni par les armes ni par la politique. Est-ce un cas pathologique, dans la culture, la langue ou chez l'écrivain ? A. Z. [email protected]