L'histoire d'un peuple n'a de raison d'être que par rapport aux traces successives qu'ont pu laisser, à un titre ou à un autre, ceux qui l'ont traversée. Le somptueux ouvrage dédié par le wali de Tlemcen à l'ancienne capitale des Zianides aurait pu contribuer à immortaliser cette façon de voir. Hélas, les rédacteurs par trop zélés d'un livre dédié pourtant à la manifestation, Tlemcen capitale de la culture islamique, en ont décidé autrement. L'heureuse initiative du premier responsable de la wilaya a été quelque peu pervertie par des raccourcis lourds de sens relevant le plus souvent de l'approximation, lorsqu'ils ne procèdent pas d'un opportunisme des plus déplacés où le remodelage du passé à l'image du présent est une réalité tangible. Sinon, comment expliquer le fait que Abdelmoumène Ben Ali figure en bonne place dans la rubrique “personnalités” alors qu'aucune référence n'est faite à Yaghmoracen Ibn Ziane, fondateur de la dynastie des Zianides ? Celle-là même qui fit pourtant de Tlemcen sa capitale et dont les réalisations architecturales narguent présentement la mémoire ankylosée des clercs. Je ne peux m'empêcher devant autant d'ingratitude d'avoir une pieuse pensée pour mon ami Djelloul Benkalfate, une autre victime de la mémoire sélective. Pédagogue avéré, il avait une manière bien à lui de décrire et de raconter l'ancienne capitale de Abou Hammou Moussa II. La création, à l'orée du XIIIe siècle, du royaume des Zianides et la promotion politique de Tlemcen, devenue capitale d'Eat, ont eu, de son point de vue, une conséquence heureuse : la naissance d'un mouvement intellectuel intense rayonnant sur tout l'Occident musulman. Il y eut, se plaisait-il à souligner, le miracle intellectuel tlemcénien comme il y eut le miracle artistique andalou ou, plus tard, le miracle pictural florentin : “Les encouragements des rois-mécènes zianides, le magnifique site naturel de Tlemcen, propice à la réflexion et à la méditation, la présence de maîtres illustres, parmi lesquels Al Abili et Ibn Khaldoun, attirèrent de bonne heure des penseurs, des philosophes, des poètes, des étudiants venus tant du Maghreb central que de l'Andalousie, du Maroc, de Tunisie et d'Orient.” L'afflux d'une clientèle intellectuelle aussi prestigieuse faisait la fierté de Si Djelloul tant celle-ci cadrait merveilleusement bien avec l'habitude prise en terre d'Islam, par les hommes de pensée, d'aller de pays en pays, à la recherche du savoir. Grâce au génie et à l'esprit chevaleresque des Zianides, leur capitale allait connaître la même notoriété que des villes musulmanes aussi courues que Cordoue, Séville, Fès, Bougie, Tunis, Kairouan, Le Caire, Damas ou Baghdad, étapes incontournables de la connaissance. Des écrits fort nombreux témoignent encore de ce merveilleux passé civilisationnel façonné par Yaghmoracen et ses descendants durant les XIIIe, XIVe et XVe siècles, âge d'or s'il en est, ciselé par d'illustres savants, des poètes et des jurisconsultes. Celui écrit par Ibn Mériem, au XVIe siècle, est non des moindres en ce qu'il permet de découvrir pas moins de 180 biographies de personnalités, originaires de Tlemcen pour la plupart, ou ayant habité cette ville, qui portèrent bien haut la pensée médiévale et participèrent, s'il est permis de paraphraser l'ancien président de la société musicale Gharnata de Tlemcen, à ce feu d'artifice intellectuel qui auréola la capitale des Zianides. Il est pour le moins curieux, dans le même ordre d'idées, qu'aucune place n'ait été accordée dans cette même rubrique à d'illustres savants et autres personnalités culturelles à l'image d'Al Maqqari, Ibn Khamis, Saïd Al Mandassi ou Cheikh Kaddour Benachour Ez Zerhouni alors que le chanteur Hadj Ghaffour y figure à la place de grandes figures qui contribuèrent pourtant à marquer la partition musicale proposée d'une note particulière, la leur, et parvinrent de la sorte, les yeux tournés vers la pensée universelle, à apporter à leurs jeunes initiés le goût du savoir, le besoin sans cesse croissant de le prendre là où il se trouve. A. M. [email protected]