La première fois que j'ai mis les pieds au mythique hebdomadaire Révolution africaine de la grande équipe, j'entendais, à ma grande surprise, quelqu'un chanter à tue-tête Mohamed Abdelwahab. Il chantait juste, avec une belle voix. J'ai tout de suite pensé à un journaliste de la culture, amoureux fou d'Abdelwahab. Un journal où on chante en toute liberté, c'est bon signe, me suis-je dit. J'avais connu une rédaction où on s'étripait, me voilà changeant de journal et de monde. J'étais curieux de connaître le directeur Zoubir Zemzoum, un nom qui sonne comme celui de Zorro : ZZ. Je l'imaginais dur, distant et fermé. Pourquoi ? tout simplement parce que Révolution africaine était l'organe du FLN, et plus opaque que ce parti il n'y avait que le komintern. On me présenta le chanteur qui avait une tête césarienne juchée sur un corps herculéen. Au physique, il y avait du Pavarotti jeune. Il était aimable ce chanteur qui me souhaita la bienvenue en s'esclaffant avec Bachir Rezzoug et Kheiredine Ameyar. J'ai aimé cette familiarité entre deux intellectuels et un chanteur inconnu. En le quittant j'ai demandé à Kheiredine : “Le chanteur c'est qui? Il est l'ami de Zemzoum?” Kheiredine, d'un air bourru, me traita de taré -l'un de ses mots préférés- et s'exclama : “Quel chanteur? Mais tu viens de voir Zoubir Zemzoum!” Cet homme a fait mentir Lafontaine : il était une cigale travailleuse sans perdre ni de sa bonne humeur ni de son flegme. Le ciel peut bien tomber, il restera fidèle à son poste. Les barons du parti mettaient la pression sur lui ? Il gardait sa bonne humeur chantante. Des membres du gouvernement montraient leurs courroux ? Il faisait la sourde oreille. Il était d'ailleurs imperméable aux pressions. J'en témoigne. En dépit du fait que c'était le parti qui avait ramené à la tête des Verts Rogov, je le critiquais vertement chaque semaine. Mon rédacteur en chef a essayé par tous les moyens de me calmer, me disant que je mettais en porte à faux le DG. Et que certains membres du FLN lui ont demandé de prendre des mesures contre moi. Bigre. Vrai ou faux, je ne sais pas. ZZ ne m'a jamais rien demandé. Bien au contraire, j'ai même eu une promotion ! C'était un patron qui avait le sens du rassemblement. Il le fallait pour réunir des sensibilités différentes comme les regrettés Bachir Rezzoug, Mohamed Hamdi, Kheiredine Ameyar, ou encore Zoubir Souissi, Abdou B., Slim, Malika Abdelaziz et j'en passe. Il avait même accueilli au sein de la rédaction de Révaf des journalistes interdits d'écriture, mais qui écrivaient quand même avec nous sous des noms d'emprunt. Il fallait le faire. Zemzoum l'avait fait. Risquant gros. Sans poser au révolutionnaire ou à l'opposant défiant le régime. Tacticien, Zoubir savait que rien n'irritait autant le pouvoir que les rodomontades et les déclarations qui sont à l'action ce que le pois chiche est au café : un diluant. Alors il agissait dans la discrétion la plus totale, aidant les uns sans défier ouvertement les autres. Dirigeant au grand cœur ne connaissant ni la haine ni la rancune, j'ai vu Zoubir prendre plusieurs fois son téléphone pour appeler un ministre ou un décideur afin d'aider un journaliste dans le besoin. En existe-il encore des patrons de presse de cette couleur cœur ? Après avoir quitté Révaf, Zemzoum se retrouve DG à la télé. Il a ouvert sa porte à tout le monde sans distinction de poste ou de sexe. Mieux encore, il a revu la grille salariale de tout le personnel y compris les chauffeurs. Une révolution à l'époque. Zoubir Zemzoum, m'avait appris, jeune journaliste, qu'on pouvait être un grand patron de presse sans être corrompu par le pouvoir. Et qu'on pouvait être puissant et rester humble, à l'écoute de sa rédaction. Une leçon que les ex-journalistes d'hier, devenus patrons de presse aujourd'hui, ont oublié. À quelques rares exceptions. Zoubir n'a pas eu les enfants qu'il méritait. Lui était tout cœur, ceux-là sont tout dinar. À chacun son époque et la presse sera bien gardée… H. G. [email protected]